Portrait de Wolfgang Schäuble © Consilium Europa
L'actuel ministre des Finances allemand, Wolfgang Schäuble, est né en 1942 près de la frontière avec l'Alsace, à Freiburg im Breisgau (Fribourg) dans le Bade-Wurtemberg. Son entourage respire l'engagement dans la vie de la cité: son père était député de la région, son frère a été ministre du Länder et sa femme Ingeborg Schäuble est économiste et préside de 1996 à 2008 l'association mondiale de lutte contre la faim,Welthungerhilfe.
Son engagement politique commence avec l'adhésion à la Junge Union, branche jeune de la CDU-CSU. C'est en 1965 qu'il rejoint la CDU et devient rapidement président de l'association des étudiants chrétien-démocrate à Hambourg et Fribourg. Il obtient ses examens juridiques d'Etat, ce qui lui donne la qualité d'avocat, et devient peu de temps après député au Bundestag à 30 ans. Côté CDU, il continue à grimper les échelons en prenant la direction de la commission des Sports de 1976 à 1984. Il devient en 1981 le coordinateur du groupe parlementaire conservateur au Bundestag.
La chute du "Prince-Héritier"
Wolfgang Schäuble monte en puissance sur la scène politique allemande et entre en 1984 dans le gouvernement d'Helmut Kohl. Il occupe le poste stratégique de directeur de la Chancellerie. En 1989, il passe à l'Intérieur et deviendra celui que la presse surnommera "l'architecte de la réunification". Mais le destin le frappe de plein fouet le 12 octobre 1990 quand un déséquilibré tire sur le ministre en meeting dans sa circonscription d'Offenburg. Wolfgang Schäuble devient paralysé des jambes. Malgré cela, il décide de continuer la politique. "Ce jour-là, j'ai compris que la vie pouvait basculer d'une seconde à l'autre" a-t-il déclaré plus tard. Il manquera désormais une chaise à la table du Conseil des ministres lorsque Wolfgang Schäuble sera membre d'un gouvernement pour laisser place à sa chaise-roulante.
Cet attentat n'arrête pas sa carrière. En 1991, il prend la présidence du groupe parlementaire au Bundestag. Le loyal bras-droit du Chancelier voit cependant ses ambitions bloquées par un Helmut Kohl refusant de laisser la main alors que les élections semblent perdues d'avance. S'effaçant devant la décision du chef, il entre dans l'opposition avec l'arrivée du SPD de Gerhard Schröder au pouvoir. Il se fera notamment remarquer en 1998 par le lancement d'une pétition contre la réforme de la nationalité : "Intégration oui - double nationalité : non !".
C'est alors que le prince-héritier d'Helmut Kohl va tomber avec l'affaire des "caisses noires de la CDU" et de celle des commissions liées au rachat par Elf de la raffinerie est-allemande de Leuna. En l'espèce, il n'y avait pas eu d'enrichissement personnel, car tout était pour le parti... Le 22 décembre 1999, Angela Merkel publie dans le grand quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung une tribune où elle demande au parti de s'émanciper de Kohl et de l'affaire des dons. Elle tue politiquement le père et sonne la fin de l'ère Kohl et de tous ceux qui en sont les symboles. Wolfgang Schäuble tire la conclusion qu'il doit effectivement laisser la place pour sortir son parti de l'impasse. Il démissionne de la présidence du groupe parlementaire le 29 février 2000. Sa relation avec Kohl tourne mal malgré le fait qu'il n'entame pas d'action en justice contre lui au nom du parti.
Il entre dans une période d'échecs politiques. Il ne réussit pas en 2001 à convaincre les militants conservateurs de lui donner l'investiture pour briguer la mairie de Berlin. En 2004, alors qu'il était pressenti pour se présenter à la fonction honorifique de président de la République, Angela Merkel l'écarte au profit de Horst Köhler. Beaucoup l'enterre à ce moment-là.
Le retour dans la lumière gouvernementale
Pourtant, en novembre 2005, la Chancelière l'appelle pour lui proposer le poste de ministre de l'Intérieur qu'il connaît bien. Il la prévient qu'il sera loyal mais ne se bridera pas. Elle lui répond: "Das weiss ich, und deswegen will ich Sie, ich will keinen Bequemen" ("Je le sais, et c'est pour ça que je vous veux, je ne suis pas à la recherche de confort"). Loyal, il le sera mais créera la polémique en 2007 avec ses déclarations à propos de la lutte contre le terrorisme: il plaide que la présomption d'innocence ne serait pas pertinente en la matière, il refuse de condamner l'existence du camp de Guantanamo Bay, il souhaite une loi autorisant les assassinats ciblés de terroristes... ces déclarations feront de lui la cible de la campagne "Stasi 2.0" menées par plusieurs associations défendant les libertés publiques.
Le 28 octobre 2009, Angela Merkel fait de lui le nouveau ministre des Finances dans ce gouvernement de coalition entre la CDU-CSU et les Libéraux du FDP. Ce chrétien-démocrate attaché au modèle rhénan de l'économie sociale de marché est là pour contrebalancer l'influence du parti libéral. Néanmoins, il met en œuvre des baisses d'impôt prévues par l'accord de coalition et et réduit le déficit budgétaire. Il suscite à nouveau la polémique en février 2010 en autorisant l'achat de données bancaires volées en Suisse contre exilés fiscaux au nom de la lutte contre fraude fiscale.
Aux finances en pleine crise de la zone euro
Aux prises avec la tempête qui secoue l'Union européenne, Wolfgang Schäuble tient bon la barre des intérêts allemands. Ainsi, il n'hésite en mars 2010 à imaginer l'expulsion d'un Etat de la zone euro si cela ne lui est pas possible de redresser ses finances publiques... tout en demandant la création d'un FMI européen.
Il sait aussi s'inspirer de ses adversaires politiques. Ainsi, il reprend l'idée de Rainer Brüderle, leader parlementaire du FDP, proposant une alternative à la taxation sur les transactions financières : s'appuyer sur l'expérience du droit de timbre britannique. C'est ce qu'il propose aux côté de "mesures de régulation pour combattre le trading à haute fréquence". Ces solutions permetraient selon lui d'éviter de voir l'introduction d'une taxe au sein "d'un petit nombre seulement de membres de la zone euro, [...] une solution 'patchwork' qui n'aurait pas de sens".
Son influence est telle que le dernier rescapé de l'ère Kohl s'impose en même temps que l'Allemagne dans le concert européen. C'est pour cela qu'Angela Merkel réfléchit à le proposer pour la présidence de l'eurogroupe en mars 2012. Si tel était le cas, il pourrait représenter les ministres des Finances de la zone euro auprès d'organismes internationaux comme le G7, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale.
Ce serait une véritable consécration pour celui qui a battu durant cette législature le record de présence au Bundestag de l'ancien combattant de la CSU Richard Stücklen resté 41 ans au Parlement fédéral. Pourtant, dans ce retour en grâce de l'ancien héritier de Kohl, un élément vient assombrir le tableau, sa santé. En effet, celle-ci est moins bonne depuis 2010 où il enchaine les ennuis physiques. Notamment en ce conseil pour les affaires économiques et financières (ECOFIN) du 9 mai où il doit être évacué suite à une allergie due à un nouveau médicament. Le 28 septembre, il est hospitalisé en raison d'escarres et reste absent de la vie politique pendant quatre semaines. Malgré les rumeurs de remaniements, Angela Merkel le soutient jusqu'au bout.
A l'occasion de la remise du Grand Prix de l'Economie fin 2010, Henri Gibier, directeur de la rédaction des "Échos", disait de Wolfgang Schäuble qu'il est "une personnalité qui ne s'est pas contentée d'analyser, avec brio et clairvoyance, une matière économique de plus en plus complexe, mais a su peser sur le cours des événements". Il avait gagné à l'époque le surnom de "Sparminator" ("Père la rigueur") car il plaidait pour le renforcement du pacte de stabilité. Mais pour Valéry Giscard d'Estaing, son "franc-parler tranche avec la perception confuse de la situation". Et ce n'est pas à 70 ans que cet animal politique changera.