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Discours du Premier ministre hongroise, Viktor Orban, le 19 janvier devant le Parlement européen, à l’occasion de l’ouverture de la Présidence hongroise du Conseil de l’Union. ©Parlement européen

 

Venu devant le Parlement européen afin de présenter les priorités de la Présidence hongroise, le Premier ministre Viktor Orban a été vivement critiqué par des députés européens indignés par la récente loi hongroise sur les médias.

Le Premier ministre hongrois et Président en exercice du Conseil, Viktor Orban, est venu devant le Parlement européen le 19 janvier, pour présenter les priorités de son pays durant ces six mois à la tête de l’Union européenne. Cet exercice habituellement très convenu et qui rythme la vie politique européenne a pourtant tourné à l’affrontement. Les députés européens ont en effet saisi cette occasion pour dire leur indignation face à la récente loi hongroise sur les médias, considérée comme une atteinte à la liberté de la presse et aux valeurs fondamentales de l’UE. C’est avec du scotch sur la bouche et brandissant la "une" d’un journal hongrois, barré de l’inscription "censuré", que les députés du Groupe des Verts/ALE ont accueilli le Premier ministre.

Une loi sur les médias très controversée

Adoptée par le gouvernement de Viktor Orban le 21 décembre 2010, cette loi est entrée en vigueur le jour de l’ouverture de la Présidence hongroise, le 1er janvier 2011. Elle place tous les médias (presse, audiovisuel et Internet), publics comme privés, sous le contrôle très stricte d’une nouvelle Autorité des médias et des communications (NMHH), intégralement composée de membres du Fidez, le parti de M. Orban. Nommé par le Premier ministre pour neuf ans, son Président pourra par ailleurs édicter des décrets, sans contrôle parlementaire. Soumis à un système d’enregistrement et d’autorisation préalable, les médias auront l’obligation de produire une "couverture équilibrée" de l’information. Faute de respecter ces règles, ils s’exposeront à de très lourdes sanctions financières allant de 36 000 à 700 000 €. Les journalistes seront également tenus de dévoiler leurs sources, dans certaines circonstances considérées comme relevant de la "sécurité nationale" ; un critère laissé à l’appréciation de la NMHH.

Le Parlement européen à l’avant-garde de la protestation

Si à la faveur de l’ouverture de la présidence hongroise, cette loi sur les médias est devenue l’objet d’une véritable polémique en Europe, son adoption était pourtant passée largement inaperçue, en dépit de certaines réactions.

Les députés européens se sont montrés à l’avant-garde de ce mouvement de protestation, à l’image du Président du Groupe ADLE et ancien Premier ministre belge, Guy Verhofstadt, qui dénonçait le 23 décembre, une "loi inacceptable" et "contraire à toutes les normes européennes""La Hongrie doit s’expliquer et la Commission doit agir", ajoutait-il. Autre figure du Parlement européen, le Co-président du Groupe des Verts/ALE, Daniel Cohn-Bendit, déclarait quant à lui : "La loi sur les médias que vient d’adopter le parlement hongrois représente une mise sous tutelle intolérable pour un pays membre de l’UE. Cette nouvelle loi, clairement répressive, est en contradiction totale avec le Traité européen, la Charte des droits fondamentaux et la Convention européenne des droits de l’Homme." 

Des mises en garde ont également été formulées par des associations de journalistes et des organisations internationales. La Représentante pour la liberté de la presse de l’OSCE, Dunja Mijatovic, a ainsi estimé que la loi hongroise constituait "une menace pour la liberté de la presse". Tandis que la Fédération des agences de presse européennes (EANA) exprimait sa "profonde préoccupation", Amnesty international dénonçait une législation "sans précédent dans l’Union européenne".

Parmi les Etats membres, seuls le Luxembourg et l’Allemagne ont publiquement réagi à l’adoption de la loi. Le Ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, a immédiatement condamné des mesures qui "violent à l’évidence l’esprit et la lettre des traités". Le Porte-parole adjoint du gouvernement allemand, Christophe Steegmans, a quant à lui incité la Hongrie à respecter les "devoirs d’un Etat de droit" et "à tenir compte des critiques de l’OSCE".

Malgré ces vives critiques, il a fallut attendre les premiers jours de la présidence hongroise, début janvier, pour que les Etats membres sortent de leur réserve. Ce qui a notamment été le cas de la France, par l’intermédiaire du Porte-parole du gouvernement et Ministre du Budget, François Baroin, qui a jugé la loi hongroise " incompatible avec l’application d’une certaine idée de la liberté de la presse, validée par tous les traités européens".

La Commission européenne préoccupée par le bon fonctionnement du marché unique

Tout comme le Président du Conseil européen, Hermann Van Rompuy, le Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso est resté étrangement silencieux alors même que la polémique grandissait. Evitant de se prononcer sur une éventuelle atteinte à la liberté de la presse ou aux droits fondamentaux, qui aurait pu heurter le gouvernement hongrois, l’exécutif européen a préféré se limiter à l’examen de la conformité de la loi avec la directive sur les services de médias audiovisuels (SMAV). C’est donc la Commissaire chargée de la Stratégie numérique, Neelie Kroes, et non la Commissaire chargé des droits fondamentaux, Viviane Reding, qui a été dépêchée lors de la session plénière du Parlement, pour tenter de calmer les ardeurs de certains de ses membres (Les Socialistes, les Libéraux et les Verts demandaient le retrait de la loi) et tenter d’apporter des gages d’efficacité de l’action conduite par l’exécutif européen. Si des infractions sont constatées, la Commission exigera une modification de la loi, déclarait la Commissaire en substance. José Manuel Barroso incitait quant à lui les parlementaires à faire preuve de patience, en attendant l’issue de la procédure.

Face à la timide réponse de la Commission européenne, les députés n’ont pas manqué l’occasion de la venue du Premier ministre hongrois à Strasbourg pour l’interpeler directement sur sa politique. Tandis que le leader des Socialistes et démocrates (S&D) Martin Schulz exhortait Viktor Orban à prouver son engagement à "défendre les valeurs démocratiques qui sont au fondement de l’Europe", Guy Verhofstadt rappelait que "le but de la gouvernance des médias n’était pas de garantir une information adéquate mais de faire respecter le pluralisme". Daniel Cohn-Bendit s’est montré encore plus incisif en comparant Viktor Orban a "un Chavez européen, un national-populiste qui ne comprend pas l’essence et la structure de la démocratie".

Seuls les membres du Groupe PPE (dont le Fidesz est membre) ont tenu à défendre le Premier ministre, qualifié de "grand européen" par Joseph Daul, le chef de file des conservateurs européens.

Une Hongrie autoritaire pour présider l’UE ?

La levée de boucliers contre la loi sur les médias a plus largement permis de mettre à jour les dérives autoritaires, populistes et nationalistes du gouvernement de Viktor Orban, depuis son arrivée au pouvoir en avril 2010. Rappelons que lors des élections législatives d’avril, le Fidesz a obtenu une écrasante victoire (près de 53% des voix), ce qui lui a conféré une majorité des deux tiers au Parlement (263 sièges sur 386).

Mise au pas des institutions (notamment à travers la réduction des compétences de la Cour constitutionnelle ou des limogeages en cascade), rupture brutale des négociations avec le FMI et rejet de l’aide financière, création d’une taxe exceptionnelle ("impôt de crise") visant en priorité les grands groupes étrangers, taxe controversée sur le secteur bancaire, processus rampant de nationalisation des caisses de retraites privées, exacerbation des tensions nationalistes à travers la distribution de passeports aux minorités hongroises des pays frontaliers , restrictions dans le domaine de la culture : autant de mesures révélant la nature inquiétante d’un "régime oscillant entre démocratie et dictature", comme l’écrivait le journal Le Monde dans un article du 17 octobre 2010, intitulé : "La "démocrature" de Viktor Orban" (par Marion Van Renterghem) .

Bien que n’ayant pas jusqu’alors soulevé de réactions d’ampleur, la politique de Viktor Orban s’est avéré particulièrement gênante alors que la Hongrie prenait la tête de l’Union européenne. Comme le soulignait le porte-parole du gouvernement allemand dès le mois de décembre : "En tant que pays qui va prendre la présidence de l’UE, la Hongrie assume une responsabilité particulière pour l’image de l’ensemble de l’Union dans le monde".

Un test pour l’Union européenne

Exploitant au mieux la fenêtre médiatique que constituait le discours d’ouverture de Présidence de Viktor Orban pour tenter d’interpeller l’opinion publique, les députés se sont montrés en partie à la hauteur de l’image du Parlement européen comme haut lieu de la défense des droits de l’homme et de la démocratie . En partie seulement car sa capacité d’action a été limitée par les calculs politiques et partisans. Alors que le PPE n’osait critiqué un gouvernement frère, les Socialistes bloquaient l’adoption d’une résolution condamnant la loi hongroise sur les médias, portée par les Libéraux, les Verts et la Gauche unitaire. Le Parlement européen n’en reste pas moins l’institution communautaire à avoir été la plus offensive.

La Commission, sensée être la garante des traités, et le Président du Conseil européen, sensé porté la voix de l’Union, ont particulièrement déçus par l’absence ou la faiblesse de leur réaction. Peu prompts à s’élever contre les dérives de Viktor Orban – du moins lorsqu’ils l’ont fait - , les Etats membres n’ont pas su ou pas voulu faire front commun contre le pays occupant la Présidence tournante du Conseil. Autant de réserves qui posent question.

Cachée dernière des procédures complexes, des considérations purement techniques et juridiques ou derrière des considérations diplomatiques et politiques, l’Union européenne serait-elle incapable de défendre fermement ses valeurs démocratiques lorsque celles-ci sont remises en cause par l’un de ses membres ? L’Union européenne est certes constituée autour d’un grand marché fonctionnant avec des règles et basé sur la confiance entre les Etats, mais elle est avant tout une union de valeurs et de principes. L’Union européenne dispose des instruments nécessaires pour veiller à leur respect, notamment à travers la Charte des droits fondamentaux, qui depuis le Traité de Lisbonne a acquis une valeur juridique contraignante . Mais l’enjeu n’est pas uniquement juridique, il est avant tout politique. Et c’est bien là que le bât blesse. Alors que l’Europe est la théâtre d’une inquiétante poussée du populisme et de l’extrême droite, le cas hongrois constitue un test de la volonté politique des responsables européens à défendre leurs valeurs démocratiques.

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