Le fondateur du think tank de gauche Terra Nova, Olivier Ferrand, nous a quitté le 30 juin 2012. De très nombreux hommages ont été rendus dans la presse et dans le milieu politique. Le Cercle des Européens dresse son portrait au travers de sa vision de l'Europe qu'il avait notamment exprimé par le biais de son livre "L'Europe contre l'Europe".
L’engagement européen
Enarque, haut fonctionnaire, créateur et président d'un think-tank influent, promoteur de l’idée des Primaires pour le choix du candidat aux élections présidentielles... Olivier Ferrand était un intellectuel multi-facettes, mais le fil conducteur de son engagement était bien l’Europe.
Nommé administrateur civil au ministère de l’économie en 1997, à sa sortie de l’ENA, en charge de négociations financières internationales, puis européennes, il rejoint Lionel Jospin à Matignon en tant que "conseiller technique pour les Affaires européennes". Son influence sur ces questions font de lui le conseiller du représentant de la France à la Convention sur l’avenir de l’Europe, Pierre Moscovici. Olivier Ferrand est le rapporteur en 2004 du groupe de personnalités présidé par Dominique Strauss-Kahn et désigné par Romano Prodi. Le rapport de ce groupe - "Construire l’Europe politique" - pose les jalons d’une Europe intégrée que le traité constitutionnel a tenté d’instituer. Aussi Olivier Ferrand s’engage-t-il résolument dans la campagne référendaire de 2005 en participant à de nombreuses conférences, tout en devenant délégué général du Think tank "À gauche en Europe", fondé par Dominique Strauss-Kahn et Michel Rocard.
En 2007, il est nommé rapporteur général de la mission "l’Europe dans la mondialisation" présidée par Laurent Cohen-Tanugi (2007 – 2008) après avoir participé à la rédaction du rapport "Peut-on faire l’Europe sans les Européens ?" remis au Conseil européen de juin 2006.
En 2011, il signe l'appel lancé par Jacques Attali en faveur d'une Eurofédération. "Prendre des décisions 27 à l'unanimité, c'est très compliqué et long comme on l'a vu durant la crise. La structure intergouvernementale ne sait pas se projeter sur la scène internationale" disait-il le 12 mars 2012 pour expliquer son soutien à cette pétition.
Sa vision de l'Europe dans un livre : "L'Europe contre l'Europe"
En mai 2009, il publie un essai à quelques semaines des élections européennes dans lequel il livre sa vision de l'Europe. Pour lui, le coup de génie de Schuman et Monnet fut de prendre acte de l’existence de fortes tendances souverainistes, tout en ne renonçant pas à faire l’Europe. D’où l’architecture originale de la CEE avec un exécutif supranational et un exécutif technique. La responsabilité politique devant les citoyens demeure exclusivement entre les mains des gouvernements nationaux. Cette Europe technique était conçue comme une première étape, devant permettre d’établir progressivement une confiance réciproque entre les Etats, des relations toujours plus étroites pour atteindre un jour la masse critique permettant de basculer dans la seconde étape, l’Europe politique.
Ce jour aurait pu venir après la chute du mur de Berlin. Mais c’est le contraire qui arrive. Et Olivier Ferrand d’analyser le "paradoxe Monnet". La "méthode Monnet" serait en d’autres termes devenue aujourd’hui contre-productive. L’Europe technique conduit à la bureaucratisation, au dérèglement technocratique sources d’un déficit démocratique dangereux.
Autres cibles de sa critique, les acteurs européens. Pour Olivier Ferrand, à l'intérieur de la Commission européenne, certains ne veulent pas intellectuellement de l’Europe politique. L’auteur parle d’un "paradoxe Barnier": pour pouvoir continuer à défendre l’intérêt général européen, la Commission devrait rester selon cette conception non-partisane et à l’abri des passions citoyennes, au-dessus des partis. "C’est un déni démocratique, le gouvernement des experts contre la démocratie" dénonce le président de Terranova. Car "l'Europe technique" n’a été conçue que comme une étape transitoire vers "l’Europe politique". Il n’est pas inutile en effet de rappeler les fondamentaux.