Le 31 août 2010, le Secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes, Pierre Lellouche, et le Ministre de l’Immigration et de l’Intégration, Eric Besson rencontraient la Vice-présidente de la Commission européenne chargée de la Justice, des Droits fondamentaux et de la Citoyenneté, Viviane Reding ainsi que la Commissaire en charge des Affaires intérieures, Cecilia Malmström, pour une réunion de travail sur la situation des Roms en France et en Europe. © Union européenne, 2010
Alors que la Commission européenne suivait de près, depuis le mois d’août, le durcissement de la politique de la France à l’égard des Roms, la Vice-présidente chargée de la Justice, des Droits fondamentaux et de la Citoyenneté, Viviane Reding, a perdu patience et annoncé son intention de lancer une double procédure d’infraction à l’encontre de la France.
La France sous le coup d’une procédure d’infraction
Alors que la Commission européenne suivait de près, depuis le mois d’août, le durcissement de la politique de la France à l’égard des Roms, la Vice-présidente chargée de la Justice, des Droits fondamentaux et de la Citoyenneté, Viviane Reding, a perdu patience et annoncé, le 14 septembre, son intention de lancer d’une double procédure d’infraction à l’encontre de la France pour violation du droit européen. Cette procédure, qui si elle est entérinée par le collègue, pourrait ouvrir sur une saisine de la Cour européenne de justice de Luxembourg, porte d’une part sur "l’application discriminatoire de la directive sur la libre circulation", d’autre part sur "le non respect des garanties procédurales et matérielles" prévues par cette même directive, dans le cadre d’expulsions de ressortissants communautaires.
L’indignation de Viviane Reding
Cette décision de la Commission européenne fait suite à la révélation par la presse française d’une circulaire du Ministère de l’intérieur, datée du 5 août 2010, visant très explicitement et prioritairement les Roms, dans le cadre de la politique de démantèlement de campements illégaux. Une révélation qui a provoqué la colère de Vivian Reding à qui Pierre Lellouche et Eric Besson étaient pourtant venus donner des assurances (lors de la réunion de travail du 31 août) que les mesures du gouvernement ne visaient aucun groupe ethnique spécifique. "Je regrette profondément que les assurances politiques données par deux ministres français mandatés officiellement pour discuter de cette question avec la Commission européenne, sont maintenant ouvertement contredites par une circulaire administrative de ce même gouvernement", a déclaré la Vice-présidente lors de sa déclaration du 14 septembre, en conférence de presse.
En amont de cette rencontre avec les deux ministres français, Viviane Reding avait tenu à faire une déclaration concernant la situation des Roms en Europe, dans laquelle elle indiquait suivre avec "une grande attention, et avec une certaine inquiétude, l’évolution de ces derniers jours en France, et le débat qui en a découlé dans plusieurs Etats membres." Une enquête avait dès lors été lancée par ses services afin "d’examiner la situation en France dans son ensemble, et d’analyser en particulier si toutes les mesures prises respectent pleinement le droit de l’UE." Cette première analyse juridique avait souligné que, dans le cas où les mesures prises par la France visaient "un groupe particulier de personnes en fonction de leur nationalité, de leur race ou de leur origine ethnique", elles constitueraient une infraction au droit européen en matière de libre circulation.
Pourtant réputée pour sa modération et extrêmement rompue au nécessaire langage diplomatique dont la Commission doit faire preuve envers des Etats membres parfois peu respectueux des règles européennes, mais sourcilleux en matière de souveraineté nationale, Viviane Reding a faire part avec une rare vigueur de son indignation : " Vu l’importance de la situation, il ne s’agit pas d’un affront mineur. Après 11 ans d’expérience à la Commission, je dirais même plus, c’est une honte." La Vice-présidente n’a pas uniquement dénoncé une politique contraire aux lois européennes mais plus généralement aux valeurs fondamentales de l’Union : "Soyons clairs : la discrimination basée sur l’origine ethnique ou la race, n’a pas de place en Europe. Elle est incompatible avec les valeurs sur lesquelles l’Union européenne est fondée. Les autorités nationales qui discriminent des groupes ethniques lors de l’application du droit de l’Union européenne violent aussi la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, que tous les Etats membres ont signée, y compris la France." (cf article 21 de la Charte des droits fondamentaux, consacré à la "Non-discrimination"). Rappelons que depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la Charte des droits fondamentaux à acquis une valeur juridique contraignante. "Je pensais que l’Europe ne serait plus le témoin de ce genre de situation après la seconde guerre mondiale", avait déclaré la Commissaire en introduction de son discours.
Les propos du Ministre aux Affaires européennes, Pierre Lellouche, la veille de la conférence de presse de Viviane Reding, ont également largement contribué à envenimer les relations entre le gouvernement français et l’exécutif européen. Dénonçant le "procès européen" fait à la politique du gouvernement, Pierre Lellouche avait souligné que la France était "un grand pays souverain" et que "le gardien des traités, c’est le peuple français". Une remise en cause inacceptable pour la Commission européenne de son rôle de gardienne des traités et de sa légitimité. Un rappel que n’a pas manqué d’adresser la Vice-présidente : "Permettez-moi de rappeler le rôle de la Commission en tant que gardienne des Traités, qui est un des fondements de l’Union européenne – une Union dont la cohésion existe, non pas par la force, mais par le respect des règles de droit convenues par tous les Etats membres, y compris la France".
Le Parlement européen dénonce une "rhétorique provocatrice et discriminatoire"
Une semaine avant le lancement de cette procédure par la Commission, le Parlement européen avait également vivement condamné la politique d’expulsion des Roms menée par la France ou par d’autres pays comme l’Italie. Lors de sa session plénière du 9 septembre, une résolution déposée par les groupes socialiste (S&D), libéral-démocrate (ALDE), vert, et communiste (GUE/NGL), et adoptée par 337 voix pour (245 contre et 51 abstentions), demandait à la France et aux autres Etats membres de "suspendre immédiatement toutes les expulsions de Roms", rejetant toute position "visant à établir un lien entre les minorités, l’immigration et la criminalité et à créer des stéréotypes discriminatoires" ainsi que "la rhétorique provocatrice et discriminatoire qui a marqué le discours politique au cours des opérations de renvoi (...) qui donne de la crédibilité à des propos racistes et aux agissements de groupes d’extrême-droite".
Lors des débats le Présidents du Groupe des Libéraux-démocrates (ADLE) et ancien Premier ministre belge, Guy Verhofstadt, avait mis en garde contre "la tentation populiste et parfois raciste", en appelant à ce que "l’Europe reste un continent de liberté et de tolérance". Manifestant leurs vives préoccupations et conscients de l’impact des images, un nombre important de députés ont brandi en séance, une pancarte sur laquelle était inscrite "Egalité des droits pour tous les citoyens".
Ayant voté contre cette résolution, les députés du Groupe PPE préféraient quant à eux mettre en avant les droits mais aussi les devoirs s’appliquant aux Roms, tout en dénonçant "une regrettable exploitation politicienne de la communauté Roms au Parlement européen" (Cf Communiqué de presse du 9 septembre 2010). Les députés PPE ont tenu à rappeler les règles qui encadrent la libre circulation et le droit de séjour au sein de l’UE. Au-delà de trois moins, le droit de séjour des citoyens européens dans un autre pays de l’UE est conditionné au fait que la personne exerce une activité économique, dispose de ressources suffisantes ou soit étudiant. La liberté de circulation peut par ailleurs être limitée "pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique." (cf Directive de 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres).
En amont du débat sur la question des Roms, le Président PPE du Parlement européen, Jerzy Buzek avait déclaré : "Tous les citoyens européens ont les mêmes droits dans l’Union européenne. Nulle personne ne peut être expulsée d’un pays pour le seul motif qu’elle appartient à la minorité rom. De même qu’il nous faut améliorer l’insertion sociale des communautés Roms, nous devons nous abstenir de toute rhétorique discriminatoire dans le débat sur cette question."
Mise en place d’une "Task Force Rom"
Cette polémique s’inscrit pourtant dans un contexte de renforcement des mesures de l’Union européenne en faveur de l’intégration des Roms qui en tant que principale minorité ethnique de l’Union européenne (10 à 12 millions de personnes), subissent encore de nombreuses discriminations. Le 7 avril 2010, la Commission européenne adoptait ainsi une communication – première de ce genre - sur "L’intégration économique et sociale des Roms en Europe". Dans ce document la Commission souligne notamment que douze Etats membres font encore l’objet d’une procédure judiciaire pour n’avoir pas correctement transposé les directives interdisant les discriminations envers les Roms dans leur législation nationale (Directive 2000/43/EC sur l’égalité raciale et la Directive 2000/78/EC proscrivant toute discrimination dans l’emploi et la formation professionnelle). Cette communication propose en outre de renforcer l’utilisation des fonds structurels européens (Fonds social européen et Fonds européen de développement régional) pour la mise en place de programmes concrets d’intégration des Roms, dans le domaine de l’emploi, de la politique sociale, de la politique de cohésion ou du processus d’élargissement.
Suite à ce texte et à la réunion de travail du mois d’août entre les deux ministres français et Viviane Reding, la Commission (à l’initiative de la Vice-présidente Viviane Reding, de László Andor, Commissaire à l’emploi, aux affaires sociales et à l’inclusion, et Cécilia Malmström, commissaireaux affaires intérieures) a décidé de mettre sur pied une "Task froce Rom" chargée d’évaluer l’utilisation des fonds européens par les Etats membres. Seuls la moitié des pays de l’UE ont en effet mis en place des programmes d’intégration des Roms. Après le deuxième sommet européen sur les Roms, qui s’est tenu sous présidence espagnole, les 8 et 9 avril à Cordoue, la présidence belge devrait réunir les 27 ministres de la Justice et des Affaires sociales afin de réfléchir à une meilleure utilisation des fonds nationaux et européens. L’objectif étant d’instituer des réunions annuelles du Conseil sur le suivi des mesures en faveur des Roms. Le Parlement européen et la Commission européenne déplorent en effet le manque d’implication des autorités nationales sur ce dossier. Lors du sommet de Cordoue, seuls trois ministres avaient par exemple jugé utile de se déplacer.
Après les critiques de l’ONU (la Haute-commissaire de l’ONU aux Droits de l’homme, Navi Pillay, a jugé le 13 septembre que la "nouvelle politique" du gouvernement français envers les Roms ne pouvait qu’"exacerber leur stigmatisation", cf discours), du Conseil de l’Europe (le Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg, a dénoncé, le 15 septembre, dans une tribune publiée dans Le Monde, la stigmatisation des Roms en France et dans d’autres pays européens dans le cadre de politique de lutte contre la criminalité), de l’Eglise (le 23 août, le Pape Benoît XVI avait plaidé – en français - en faveur de l’accueil des "légitimes diversités humaines". De nombreux hommes d’Eglise en France ont condamné la politique de la France), la condamnation du Parlement européen, mais aussi l’indignation générale au sein de la société civile et de la presse internationale, la procédure lancée par la Commission européenne contre la France et la fermeté des propos d’une des Commissaires les plus respectées, interpellent quant aux dérives contenues dans certaines politiques. Il est du moins à espérer que ce mouvement de protestation et cette querelle au plus haut niveau aient pour conséquence une plus grande prise de conscience de la situation des Roms en Europe et de la nécessaire mobilisation des Etats membres autour de cette cause.
Lire aussi :
Les Roms dans l’Union européenne. Questions-Réponses, Commission européenne, 25 août 2010