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Intervention du 09-01-2013

Tintin Depardiov : au pays des ex-soviets

La présidente du Cercle des Européens revient sur la polémique liée au départ en Russie de Gérard Depardieu dans sa chronique "Le Monde selon Noëlle Lenoir".

Un passeport russe remis en mains propres et sous les feux de la rampe par le Président Vladimir Poutine en personne, quelle rigolade ! Mais une rigolade qui ternit l’image d’un de nos acteurs fétiche – Gérard Depardieu - fraichement naturalisé russe. En cadeau – comme si son passeport n’en était pas un suffisamment digne de son immense talent – on vient de lui proposer le portefeuille de ministre de la République de Mordovie ! 835 000 habitants, s’il vous plait, et des résidents illustres puisque c’est là où l’une des Pussy Riots purge sa peine d’emprisonnement dans un des goulags à la mode stalinienne.

Autre petit problème, le ministre Depardieu ne parle pas la langue de sa nouvelle patrie. Ce qui risque d’entraver les échanges francs et massifs qu’il devrait avoir avec ses collègues du gouvernement Mordovien.

Voilà pour l’anecdote. Sur le fond, l’affaire est plus grave car elle nous remet en mémoire la façon dont – dans le passé comme au présent – la naturalisation ou simplement la délivrance de passeports, non pas à titre individuel, mais en masse cette fois-ci peut être un outil permettant à des régimes autoritaires de déstabiliser des Etats voisins.

Dans le passé, ce fut la crise des Sudètes du nom de la région de Bohème et de Moravie (qui sont aujourd’hui régions de la République tchèque) et où résidaient entre les deux–guerres des citoyens d’origine allemande représentant 30% de la population. Le parti nazi local – relais des objectifs pangermanistes d’Hitler – y entretenait un climat d’agitation permanent tout en réclamant dès 1938 le rattachement des Sudètes au IIIème Reich. Hiltler annonce aussitôt aux Français et aux Britanniques que ce dernier litige territorial résolu, la paix sera assurée en Europe « pour mille ans » (sic)! En octobre 1938, les Sudètes devenaient citoyens du Reich face à la passivité de la France et de la Grande-Bretagne. Un an plus tard, débutait la seconde guerre mondiale.

Plus récemment –dans un contexte heureusement différent – Vladimir Poutine a procédé à la distribution massive de passeports russes aux habitants de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, deux régions sécessionnistes qui font partie de la Géorgie. S’en est suivie l’invasion subite par les troupes russes de cette ancienne République soviétique, un pays devenu indépendant et bien trop atlantiste aux yeux du gouvernement russe. L’Ossétie du Sud et l’Abkhazie ont du coup auto-proclamé leur souveraineté. Les deux nouveaux Etats sont reconnus par la Russie, le Nicaragua, le Venezuela et les îles Nauru et Tuvalu…, mais pas par la communauté internationale, et en particulier pas par l’UE. Succès mitigé, donc !

Il reste que cette affaire illustre la façon dont la délivrance de passeports à une minorité vivant dans un Etat souverain, peut entraîner de fractures et d’instabilité politique. L’Union européenne a fait faire une enquête sur l’attitude du gouvernement russe dont il résulte qu’il y a eu atteinte à la souveraineté de la Géorgie, et à son intégrité territoriale. Toutefois, rien ne se passe et on voit avec la distribution de passeports aux minorités de certains pays du Caucase se redessiner les frontières de la guerre froide.

Le dernier exemple de ce type – et non des moindres – est encore plus proche de nous. Il concerne la Hongrie et le gouvernement du Premier ministre Orban. Dès 2010, Victor Orban a fait voter une loi accordant un passeport hongrois aux 3,5 millions de ressortissants d’Etats voisins – Roumanie, Slovaquie et Serbie – d’origine hongroise. On a désigné cette opération comme celle des « passeports Trianon ». C’est dans la grande salle du Trianon du Château de Versailles qu’a en effet été signé en 1920 le traité dont il est résulté une amputation de la Hongrie des 2/3 de son territoire, au profit de la Roumanie, du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, de la Tchécoslovaquie et même de l’Autriche. Un traité qui, on le comprend, est encore vécu comme une blessure. D’où la revendication du Premier ministre actuel de reconstituer la Grande Hongrie éternelle en s’adjoignant les résidents d’origine Magyar dans les pays voisins.

La nouvelle Constitution hongroise adoptée en 2011 témoigne parfaitement de cette résurgence ultranationaliste lorsqu’elle proclame que les « membres de la Nation Hongroise, au début de ce nouveau millénaire, sont responsables pour tous les Hongrois » et qu’elle souligne en outre que le socle de la Nation remonte «au roi Saint Etienne, i.e. mille ans en arrière ».

Où va l’Europe avec cette foire aux passeports ? Où va-t-elle si d’un côté, avec l’épisode Depardieu, le pouvoir russe nous nargue en accueillant l’un des nôtres à grands renforts de publicité comme un quasi réfugié … fiscal, et si d’un autre côté, le gouvernement d’un de nos partenaires européens s’acharne à déstabiliser une Europe centrale dont la fragilité politique (comme dans le reste de l’Europe) n’aura échappé à personne ?

Pour parler franc, cela n’est pas sain. Aussi rappelons-nous la fameuse formule qu’on attribue à Romain Gary suivant laquelle : « le patriotisme, c’est l’amour des siens, le nationalisme, c’est la haine des autres ».

Que Gérard Depardieu – dont c’est le droit le plus strict de vouloir changer de nationalité – se fasse le complice d’une provocation anti-française et même anti-européenne, je trouve cela un peu désolant. Pour lui d’ailleurs, plus que pour nous. Que cet épisode nous remette en mémoire les dégâts qui peuvent être faits au nom de la grandeur des nations, c’est encore plus regrettable.

Les démons ne sont jamais aussi loin qu’on le pense… 

La présidente Noëlle Lenoir

https://twitter.com/noellelenoir

  • Avocate
  • Membre honoraire du Conseil Constitutionnel
  • Conseiller d’État honoraire
  • Ministre déléguée aux Affaires européennes (2002-2004)
  • Présidente du Cercle des Européens (depuis 2004)
  • Présidente d’honneur-fondatrice (1994) de l’Association des Amis d’Honoré Daumier
  • Présidente du Cercle Droit et débat public (depuis 2019)
  • Membre de l’Académie des Technologies
  • Membre de l’American Law Institute
  • Administrateur de HEC Business School
  • Vice-Présidente d’ICC France
  • Présidente du Comité international de bioéthique de l’UNESCO (1993-1998)
  • Présidente du groupe de conseillers pour l’éthique de la biotechnologie de la Commission européenne (1994-1998)
  • Déontologue de l’Assemblée Nationale (2012-2014)
  • Présidente du Comité d’éthique de Radio-France (2017-2018)
  • Présidente du Comité Éthique et scientifique de Parcoursup (2018-2019)
  • Visiting Professor à la Faculté de droit de Columbia
  • University à New-York (2001-2002)
  • Professeure affiliée à HEC (depuis 2002)
  • Présidente de l’Institut d’Europe d’HEC (depuis 2004)
  • Bâtonnier honoraire de Gray’s Inn à Londres (depuis 1996)
  • Docteur honoris causa de Suffolk University à Boston (USA) et de University College London (Royaume Uni)
  • Honorary Fellow du Hasting Center (USA)

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