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Intervention du 13-12-2009

Perspectives européennes sur le grand emprunt

Quelques jours avant la remise du rapport d’Alain Juppé et Michel Rocard sur les modalités d’un grand emprunt national, le Sénateur de l’Oise et Rapporteur général de la commission des Finances, Philippe Mariani, organisait un colloque parlementaire sur le thème : "Emprunt national, panser la crise ou panser l’avenir ?". Invitée à intervenir lors de ce débat, Noëlle Lenoir a replacé la problématique du grand emprunt dans le cadre européen, en mettant en lumière ses contraintes mais également ses opportunités.

Si le grand emprunt fait bien figure de "tradition française", Noëlle Lenoir rappelle qu’en 1993, Jacques Delors avait proposé la création d’un grand emprunt européen. Une idée qui aujourd’hui a été replacée au centre du débat alors que l’Union européenne s’interroge les voix de la relance économique.

Intervention de Noëlle Lenoir

En effet, je souhaite inscrire mon intervention dans un cadre historique et européen. Ce colloque montre la volonté du Parlement de renforcer son contrôle sur l’emprunt national. Comme vous le savez, en vertu de l’article 34 de la loi organique de 2001, une habilitation annuelle est donnée au gouvernement par le Parlement pour ouvrir des emprunts.

Je structurerai mon propos en deux parties. Tout d’abord, sans faire une critique du passé, je souhaite revenir sur la notion de grand emprunt qui est une tradition française, notamment de la Ve République. Je crois que l’exercice qui sera présenté demain marquera une rupture avec le passé récent de la Ve République. Ensuite, j’aborderai le contexte européen, qui amène une toute nouvelle problématique de l’emprunt d’État.

Le grand emprunt, une tradition française

Les grands emprunts et l’appel à l’épargne publique, qui sont une manière de dialoguer avec l’opinion, représentent une tradition ancienne, déjà utilisée sous l’Ancien régime ; à tel point que deux lois de 1790 et de 1793 fixèrent le régime juridique du contrat d’emprunt public et instaurèrent un système de rente d’État. Nous sommes -encore aujourd’hui- un pays d’épargnants, le taux d’épargne des ménages français s’élevant environ à 15 %. Ce grand emprunt annoncé s’inscrit dans la tradition du dialogue avec opinion sur le destin du pays.

Néanmoins, cet emprunt doit marquer une rupture avec nos pratiques du passé. Au cours de la seule Ve République, neuf emprunts ont eu lieu, d’Antoine Pinay à Edouard Balladur. Ils se sont révélés assez coûteux. De plus, ils n’ont pas misé sur l’avenir. Leurs taux étaient élevés, atteignant jusqu’à 16,75 % pour l’emprunt Delors. En outre, ils ont bénéficié d’un régime fiscal très favorable, voire exorbitant :l’emprunt Pinay a permis aux plus grandes fortunes de France d’échapper à l’impôt sur les successions. La loi organique de 2001 a prohibé ce type d’exonérations fiscales. Néanmoins, l’indexation reste possible, aussi bien pour les emprunts privés que publics. Enfin, les emprunts ont historiquement été convertis d’un régime à l’autre, ce qui a eu un coût extrêmement élevé.

En revanche, sous la Ve République, il n’y a quasiment pas eu d’emprunts d’investissement à long terme. Bien souvent, ces emprunts ont servi à des opérations de cavalerie de trésorerie. Ce fut le cas, par exemple, de l’emprunt Balladur. L’État a aussi eu recours à l’emprunt social, auquel monsieur Hervé Mariton a manifesté son opposition auparavant. En réalité, les seuls emprunts consacrés à l’investissement ont eu lieu dans les années 1960 alors que monsieur Michel Debré était Premier ministre ainsi que durant le mandat de monsieur François Mitterrand, via le Fonds spécial des grands travaux. Néanmoins, en règle générale, l’emprunt d’État français réalise une mobilisation populaire pour secourir une trésorerie dans le besoin.

L’investissement au cœur du grand emprunt en 2010

Aujourd’hui, la configuration est radicalement différente. Tout d’abord, des marchés financiers très perfectionnés se sont organisés au cours des vingt dernières années. Néanmoins, ceux-ci ne sont pas dépourvus de failles, comme le montre la crise actuelle sans précédent depuis la Seconde guerre mondiale. Par ailleurs, l’État est devenu un emprunteur d’habitude dans des conditions extrêmement sophistiquées que Philippe Mills a présentées. À ce sujet, l’Agence France Trésor est réputée en Europe comme le meilleur expert des marchés internationaux.

Dans ces conditions, il est clairement exclu de recourir à un emprunt auprès du public au même coût que les précédents. L’État ne devrait-il pas profiter de l’apport des marchés financiers et de son expertise dans ce domaine pour réaliser, non pas un grand emprunt, mais un emprunt dont la banalité de la collecte des fonds serait contrebalancée par l’originalité des investissements et de la gouvernance ? C’est une question qui sera certainement évoquée.

Par ailleurs, nous devons nous intéresser au problème de l’investissement. Le rapport économique et financier du projet de loi de finances pour 2001 préconisait non seulement de recourir à l’emprunt uniquement pour financer des investissements, mais aussi de s’assurer que le montant du déficit n’excède pas celui de ces investissements. Je considère que ce lien entre la collecte de fonds - éventuellement auprès du public - et l’investissement devrait être porté à la réflexion de nos politiques et de nos économistes. Les débats de cet après-midi porteront sur ce thème.

Si la tradition française de l’emprunt public est maintenue, il est nécessaire de trouver des modalités qui ne soient pas celles du passé. Il importe de prévoir un emprunt qui ne soit pas coûteux afin de préserver nos finances publiques, qui soit tourné vers l’avenir et l’investissement et qui évite tout saupoudrage.

Contraintes et opportunités du cadre européen

Le contexte européen pose certains défis, mais il apporte aussi des solutions nouvelles. Je souhaite replacer le projet de grand emprunt dans le cadre de la maîtrise des finances publiques et des déficits, qui est un fondement du Traité de Maastricht auquel aucun État européen n’a renoncé, pas plus que la Commission. Cette dernière a lancé une série de procédures de déficit excessif contre quasiment tous les États membres. Par ailleurs, le régime des aides d’État est contrôlé et validé par la Commission, afin d’éviter tout retour à l’intérieur des frontières nationales. Il n’existe plus réellement d’acteurs économiques uniquement nationaux : même les PME souhaitent aujourd’hui exporter.

D’ailleurs, la formule d’un grand emprunt s’adressant aux marchés financiers ou au grand public n’est elle pas un peu désuète aujourd’hui ? Ne devons-nous pas mener une réflexion prospective sur un emprunt européen ou bien trouver une solution nouvelle ? Mes confrères et moi-même avons réfléchi à une formule de fonds d’investissement qui représenterait une alternative. Nous devons conjuguer les crédits publics, l’épargne populaire et les fonds privés pour alimenter la croissance qui repose largement sur les PME.

S’agissant des exigences européennes, je ne crois pas que les critères de Maastricht ont été définis par pur masochisme à la demande de l’Allemagne. Nous savons que l’euro n’est pas une monnaie d’avenir sans coordination des politiques budgétaires entre États. Malgré les facilités d’emprunt dont dispose la France, nous ne pouvons pas supporter à long terme de rembourser chaque année l’équivalent de l’impôt sur le revenu en intérêts de la dette. Sans ce déficit abyssal, nous n’aurions pas lancé la RGPP. Néanmoins, l’Allemagne a clairement affiché sa décision d’être en déficit jusqu’en 2016 pour l’État fédéral et jusqu’en 2020 pour les Länder. C’est une nette affirmation des intérêts nationaux allemands. Je ne crois pas que ce soit une bonne nouvelle pour l’économie européenne.

Les aides d’État représentent une autre piste de réflexion. En 1957, les auteurs du traité de Rome ont constaté l’existence d’un grand nombre de monopoles et l’habitude des États de secourir leurs plus grandes entreprises. Le régime des aides d’État est placé sous haute surveillance de la Commission européenne. Pour la première fois dans l’histoire de l’Europe, ce régime a été utilisé pour permettre aux États de venir en aide aux banques sur un fondement juridique inédit qui est de remédier aux graves perturbations de l’économie. Si ce grand emprunt ne participe pas au plan de relance, nous ne pourrons plus nous référer à ce fondement juridique. Il faudrait alors démontrer au cas par cas que les fonds collectés par l’État seront apportés aux entreprises de la même façon qu’ils le seraient par des investisseurs privés. Par exemple, pour que la Commission accepte de ne pas considérer les aides du Fonds stratégique d’investissement comme des aides d’État, ce fonds doit se limiter à apporter son soutien à des entreprises qui fonctionnent déjà bien.

Si cet emprunt est placé dans le cadre de la relance, nous pourrons bénéficier de l’assouplissement apporté au régime des aides d’État. Dans le cas contraire, l’État serait tenu d’investir dans des entreprises qui pourraient se fournir en capitaux auprès d’investisseurs privés avisés -telle est la terminologie de la Commission. Dans le contexte européen, nous devons nous efforcer d’établir une certaine solidarité économique et financière entre les États membres.

La proposition de création d’un emprunt européen avait été proposée par monsieur Jacques Delors en 1993 au moment de la mise en place des fonds structurels. En particulier, huit milliards auraient été prévus pour les infrastructures. Cette proposition n’a pas été retenue. Le Parlement européen a relancé cette problématique il y a quelques mois en adoptant une résolution en ce sens (Plan européen de relance économique, résolution du 11 mars 2009). Néanmoins, nous devons être réalistes. Le Traité de Nice et le Traité de Lisbonne ne nous permettent pas de mettre en place de telles opérations. Néanmoins, nous devons réfléchir sur ce thème. Avec un budget limité à 1 % de la richesse nationale de l’Union, l’Europe ne peut pas être un acteur de l’investissement : son rôle se limite à la péréquation.

Mobiliser les citoyens autour de projets européens d’investissement

J’en viens à la conclusion suivante : il serait souhaitable de concilier le problème de la collecte d’un emprunt et la nécessité de mobiliser les citoyens autour de projets d’investissements qui s’inscrivent dans une perspective européenne. Avec l’équipe de CroissancePlus, nous avons pensé à une autre formule, qui n’est pas nécessairement liée au grand emprunt : il s’agirait d’un fonds d’investissement à gestion publique et privée, faisant appel à l’épargne populaire tout en étant sécurisé. Il permettrait de résoudre le problème de notre pays qu’est le manque de fonds propre des PME. Il y a 10 ans, 72 % de ces entreprises étaient indépendantes : ce pourcentage est aujourd’hui tombé à 51 %. De plus, à la différence de l’Allemagne, nous ne disposons pas de grosses PME, alors que celles-ci représentent la force d’une économie.

Ce grand emprunt nous oblige à réfléchir à l’avenir, à nos faiblesses et à nos forces. Le comportement d’épargne des Français explique la meilleure résistance de notre pays face à la crise. De plus, nous sommes attachés à l’investissement dans les infrastructures. Néanmoins, nous devons nous inscrire résolument dans le XXIe siècle et saisir les opportunités offertes par les marchés financiers. Un économiste a dit qu’en France, l’emprunt était coûteux financièrement mais très peu coûteux politiquement. Je crois que nous devrions réaliser un emprunt peu coûteux financièrement, mais très rentable économiquement et politiquement.

La présidente Noëlle Lenoir

https://twitter.com/noellelenoir

  • Avocate
  • Membre honoraire du Conseil Constitutionnel
  • Conseiller d’État honoraire
  • Ministre déléguée aux Affaires européennes (2002-2004)
  • Présidente du Cercle des Européens (depuis 2004)
  • Présidente d’honneur-fondatrice (1994) de l’Association des Amis d’Honoré Daumier
  • Présidente du Cercle Droit et débat public (depuis 2019)
  • Membre de l’Académie des Technologies
  • Membre de l’American Law Institute
  • Administrateur de HEC Business School
  • Vice-Présidente d’ICC France
  • Présidente du Comité international de bioéthique de l’UNESCO (1993-1998)
  • Présidente du groupe de conseillers pour l’éthique de la biotechnologie de la Commission européenne (1994-1998)
  • Déontologue de l’Assemblée Nationale (2012-2014)
  • Présidente du Comité d’éthique de Radio-France (2017-2018)
  • Présidente du Comité Éthique et scientifique de Parcoursup (2018-2019)
  • Visiting Professor à la Faculté de droit de Columbia
  • University à New-York (2001-2002)
  • Professeure affiliée à HEC (depuis 2002)
  • Présidente de l’Institut d’Europe d’HEC (depuis 2004)
  • Bâtonnier honoraire de Gray’s Inn à Londres (depuis 1996)
  • Docteur honoris causa de Suffolk University à Boston (USA) et de University College London (Royaume Uni)
  • Honorary Fellow du Hasting Center (USA)

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