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Intervention du 19-05-2009

Une cour constitutionnelle française pour le XXIe siècle

En insérant dans la Constitution de 1958 un article 61-1 pour permettre à tout justiciable - individu français ou non, société commerciale, association, etc. - de contester devant le Conseil constitutionnel une loi déjà en vigueur, le constituant a fait faire un grand pas à l’Etat de droit en France.

Certes, la légitimité du Conseil constitutionnel n’est plus sérieusement mise en doute dès lors que l’institution a su par sa jurisprudence reconstituer le système des libertés politiques, économiques et sociales sur lesquelles s’appuie notre démocratie.

 Article paru dans le journal Le Monde, du 20.05.09

"La question du mode de recours au Tribunal constitutionnel est primordiale, car c’est de sa solution que dépend la mesure dans laquelle ce tribunal pourra remplir sa mission de garant de la Constitution." Cette remarque du juriste autrichien Hans Kelsen, père du modèle européen de contrôle de constitutionnalité de la loi au début du XXe siècle, prend tout son relief après la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

En insérant dans la Constitution de 1958 un article 61-1 pour permettre à tout justiciable - individu français ou non, société commerciale, association, etc. - de contester devant le Conseil constitutionnel une loi déjà en vigueur, le constituant a fait faire un grand pas à l’Etat de droit en France. Certes, la légitimité du Conseil constitutionnel n’est plus sérieusement mise en doute dès lors que l’institution a su par sa jurisprudence reconstituer le système des libertés politiques, économiques et sociales sur lesquelles s’appuie notre démocratie.

Pour autant, il n’était pas normal que l’accès au prétoire du Conseil soit exclusivement réservé aux parlementaires et aux autorités exécutives que sont le président de la République et le premier ministre, dans le cadre du contrôle abstrait et a priori de la loi. Nous, Français, étions les seuls en Europe à exclure les justiciables "ordinaires" du droit au recours devant leur juge constitutionnel, là où il existe.

Partout ailleurs en Europe, en effet, les cours constitutionnelles ont été d’emblée conçues pour être accessibles aux citoyens. Symbolisant le retour de l’Etat de droit après la chute d’un régime autoritaire, leur création remonte à la fin de la seconde guerre mondiale en Italie et en Allemagne, au milieu des années 1970 en Grèce, au Portugal et en Espagne, et enfin à l’effondrement du communisme des années 1989-1990 dans les pays de l’Europe centrale et orientale.

Ces juridictions continuent de jouer un rôle de rempart, telle la Cour constitutionnelle polonaise lorsqu’elle a invalidé en 2007 les dispositions d’une loi de "lustration" dénoncée par le regretté eurodéputé Bronislaw Geremek à la tribune du Parlement européen. Cette loi, obligeant 700 000 Polonais à déclarer s’ils avaient collaboré avec les ex-services secrets communistes, était au passage destinée à contrôler journalistes, avocats, professeurs et juges trop peu conciliants avec le gouvernement en place.

Logiquement, au sortir du régime de Vichy, la Constitution de la IVe République aurait dû comporter la création en France d’une cour constitutionnelle. Qu’il n’en ait pas été ainsi ne fait que traduire la traditionnelle méfiance des responsables politiques vis-à-vis de la justice et leur crainte d’un "gouvernement des juges", une expression propre à notre pays.

La réforme de juillet 2008, née de la proposition du comité présidé par Edouard Balladur, reprend le projet inspiré par Robert Badinter, président à l’époque du Conseil constitutionnel, qui avait été infructueusement soumis au Parlement en 1990. Il a donc fallu vingt ans pour que soit reconnu le droit, élémentaire dans une démocratie moderne, de mettre en cause lors d’une instance contentieuse la conformité à la Constitution d’une loi dont l’application est déterminante pour l’issue du procès.

Le système français avait montré ses limites. On se souvient en particulier de la polémique provoquée par la condamnation en 2004 d’un ancien premier ministre à une peine automatique d’inéligibilité. Cette sanction était la conséquence d’une loi de 1995 non déférée avant sa promulgation au Conseil constitutionnel. Sa portée se trouvait entamée par une jurisprudence postérieure du Conseil déclarant toute sanction automatique inconstitutionnelle au regard de l’article 8 de la Déclaration de 1789 sur les droits de l’homme et du citoyen sur la nécessité de la peine.

Le nouvel article 61-1 de la Constitution, dans une hypothèse de ce genre, prive désormais la loi promulguée de son infaillibilité. Le contrôle de constitutionnalité devient officiellement en France comme ailleurs l’instrument par excellence de lutte contre d’éventuels abus du pouvoir au sens où l’entendait Montesquieu.

La loi organique sur la procédure à suivre pour saisir le Conseil constitutionnel d’une question préjudicielle relative à la constitutionnalité d’une loi promulguée déterminera la valeur d’une réforme dont l’efficacité repose à mon sens sur trois éléments : D’abord, la saisine du Conseil ne doit pas être arrêtée par un filtrage excessif. L’obligation faite à tout juge de s’en remettre, selon le cas, à la décision du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation, pour que le Conseil constitutionnel soit saisi d’une question de constitutionnalité, est déjà un frein. L’Autriche et l’Allemagne, qui avaient opté pour un tel système, y ont vite renoncé.

Pour que le filtrage par les deux juridictions suprêmes françaises ne prive pas la réforme de sa portée, il conviendrait d’appliquer le mécanisme prévu pour le renvoi préjudiciel par les juges nationaux d’une question d’interprétation ou d’appréciation du droit communautaire par la Cour de justice européenne de Luxembourg. Le Conseil d’Etat et la Cour de cassation devraient être tenus d’en référer au Conseil constitutionnel à chaque fois qu’il y a doute sur la constitutionnalité de la loi incriminée.

Ensuite, le Conseil constitutionnel devrait pouvoir être saisi de questions portant sur des droits non encore expressément reconnus par la jurisprudence. Certains droits non explicitement visés par la Constitution ont été qualifiés d’"objectifs à valeur constitutionnelle", notamment le droit à disposer d’un logement décent et le pluralisme de la presse. De même, le droit à la dignité humaine a été affirmé à partir d’une phrase du préambule de la Constitution de 1946 condamnant "les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine". Il doit être clair que ces principes s’appliquent également dans le cadre du contrôle ex post de la loi, de même que d’autres principes que le Conseil constitutionnel n’a pas encore fait émerger.

Enfin, il est urgent de réunifier les divers types de contrôle de la loi au regard des principes constitutionnels et de ceux découlant des traités internationaux. Le partage entre un contrôle de "conventionnalité" exercé par l’ensemble des cours et tribunaux et le contrôle de la constitutionnalité réservé au Conseil constitutionnel - en lien étroit désormais avec le Conseil d’Etat et la Cour de cassation - est artificiel. Les principes sont souvent les mêmes dans les différents ordres juridiques. Le Conseil constitutionnel, investi à présent des compétences d’une cour à part entière, devrait être en mesure de contrôler la loi au regard des normes internationales et non plus seulement constitutionnelles. Ce n’est pas un hasard si la Cour suprême des Etats-Unis, dans ses arrêts remarqués rendus entre 2004 et 2008 sur les droits des détenus de la prison de Guantanamo à un tribunal indépendant et impartial, s’est référée à la Convention de Genève de 1949 sur les prisonniers de guerre !

La réforme constitutionnelle de 2008 représente un progrès considérable. Reste à l’appliquer de telle façon que les citoyens dans notre pays acquièrent une véritable culture des droits et devoirs en démocratie, si indispensable face aux défis du monde actuel.

La présidente Noëlle Lenoir

https://twitter.com/noellelenoir

  • Avocate
  • Membre honoraire du Conseil Constitutionnel
  • Conseiller d’État honoraire
  • Ministre déléguée aux Affaires européennes (2002-2004)
  • Présidente du Cercle des Européens (depuis 2004)
  • Présidente d’honneur-fondatrice (1994) de l’Association des Amis d’Honoré Daumier
  • Présidente du Cercle Droit et débat public (depuis 2019)
  • Membre de l’Académie des Technologies
  • Membre de l’American Law Institute
  • Administrateur de HEC Business School
  • Vice-Présidente d’ICC France
  • Présidente du Comité international de bioéthique de l’UNESCO (1993-1998)
  • Présidente du groupe de conseillers pour l’éthique de la biotechnologie de la Commission européenne (1994-1998)
  • Déontologue de l’Assemblée Nationale (2012-2014)
  • Présidente du Comité d’éthique de Radio-France (2017-2018)
  • Présidente du Comité Éthique et scientifique de Parcoursup (2018-2019)
  • Visiting Professor à la Faculté de droit de Columbia
  • University à New-York (2001-2002)
  • Professeure affiliée à HEC (depuis 2002)
  • Présidente de l’Institut d’Europe d’HEC (depuis 2004)
  • Bâtonnier honoraire de Gray’s Inn à Londres (depuis 1996)
  • Docteur honoris causa de Suffolk University à Boston (USA) et de University College London (Royaume Uni)
  • Honorary Fellow du Hasting Center (USA)

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