Le Cercle des Européens...
Pour une Europe réunie...
Si 20 ans après la chute du Mur et 19 ans après la réunification on considère que le PIB par habitant de l’ex-RDA atteint 70% de celui de l’ex-RFA et que le chômage est près de deux fois plus élevé à l’Est qu’à l’Ouest, a-t-on un tableau réaliste du paysage économique allemand ?
Seulement si on considère que "l’ex-RDA" est une entité qui existe toujours – mais cela n’est plus vrai qu’en termes de géographie historique. Peu avant l’Unité allemande, la RDA s’est en effet "re-régionalisée", plus exactement : transformée en 5 Länder (quant à l’ancienne capitale de la RDA, elle a fusionné avec Berlin-Ouest), c’est-à-dire autant d’Etats autonomes, dotés de chacun sa propre Constitution, son propre parlement, son propre gouvernement. Au moment de l’Unité politique (3 octobre 1990), ces "nouveaux" Länder ont rejoint les 11 autres (les "anciens") au sein de la République fédérale dont ils sont devenus les nouveaux "Etats membres". Chacun, depuis, mène sa propre politique économique en pleine autonomie, bien entendu au sein d’un cadre réglementaire commun, celui de l’Allemagne.
Certes, on peut dire que, globalement, les économies des nouveaux Länder se sont normalisées en ce sens que la structure de leurs activités ne se distingue plus guère de celle des Länder de l’ouest : l’agriculture est résiduelle, et la part de l’industrie à la création de richesse est de 20 % (25 %) à l’ouest. Mais il y a plus important : elles se sont normalisées en ce sens qu’elles se sont diversifiées. Le Mecklembourg, site touristique par excellence de l’Allemagne, n’a que peu d’industrie, et en comparaison allemande, ses performances économiques sont assez faibles – mais cela est vrai pareillement du nord de la Hesse ou du nord-est de la Bavière (Länder de l’ouest). A l’inverse, un Land comme la Saxe, qui a su revitaliser sa culture industrieuse, dispose d’une industrie performante (près de la moitié des exportations des nouveaux Länder lui est imputable), et s’est parfaitement insérée dans la nouvelle localisation est-européenne de la filière automobile. C’est aussi un site high-tech, comme le montre le surnom du Land ("Silicon Saxony"), qui abrite le premier cluster européen de microélectronique, et un challenger de la Bavière bien que, en comparaison, ce Land soit nettement plus petit que son puissant voisin du sud-ouest.
Aujourd’hui, il n’y a plus de clivage est-ouest en Allemagne, mais bien plutôt une accentuation du traditionnel clivage nord-sud dans lequel se sont insérés les nouveaux Länder. Rappelons qu’à l’ouest, les différences sont très prononcées : le PIB par habitant de la Hesse est supérieur de 40 % à celui du Schleswig-Holstein (limitrophe du Danemark). Et si la productivité [pas le niveau de vie, il est pratiquement équivalent] n’atteint toujours dans les nouveaux Länder que 70 % du niveau de l’ouest, ce n’est là qu’une moyenne qui masque de grandes disparités, à l’est aussi. S’y ajoute aussi le fait que les activités y sont structurellement moins intensives en savoir qu’à l’ouest, étant donné que les secteurs phare de l’économie allemande (automobile, construction mécanique, électrotechnique, chimie, mais aussi logistique), les plus intensifs en savoir et les plus innovants, y sont moins densément représentés qu’à l’ouest. S’y ajoute enfin, et c’est directement lié, la faible présence de pôles de concentration d’activités tirées par la présence du siège d’un groupe de ces secteurs-phare et implantées sur un point nodal en termes d’infrastructures comme le sont Hambourg, Francfort/Main ou Munich. On voit là se traduire par ailleurs le retard pris dans l’interconnexion des réseaux d’infrastructures de transport est- et ouest-européens.
Quant au niveau de chômage, il reste élevé pour des raisons structurelles : ce sont les entreprises sises dans les activités les plus intensives en savoir qui embauchent le plus, or il y en a moins. Ensuite, les énormes gains de productivité de ces 20 dernières années se sont accompagnés nécessairement d’une politique sélective à l’embauche. Enfin, il y a un élément culturel : le plein emploi concernant également les femmes du temps de la RDA, elles sont aujourd’hui plus nombreuses qu’à l’ouest à s’inscrire au chômage.
Les économies est-allemandes se sont diversifiées, donc normalisées. L’économie allemande se caractérise par de fortes disparités régionales, et cet état de fait est communément accepté.
D’un point de vue économique et social, les Allemands de l’Est sont-ils déçus par la réunification ? N’y a-t-il pas une certaine idéalisation du système, notamment social, de la RDA ?
On ne peut pas dire qu’ils soient déçus dans l’ensemble. Mais ils sont enclins à cultiver "l’Ostalgie".
C’est là d’une part la manifestation d’un syndrome bien connu : le syndrome du prisonnier qui, une fois libéré, éprouve de grandes difficultés à recouvrer son autonomie. Elle est d’autre part la manifestation du mécanisme de "déprivation relative", bien connu en psychologie, et qui fait que, à force de se comparer systématiquement aux Allemands de l’Ouest (en tant qu’entité), considérés comme favorisés, les Allemands de l’Est cultivent l’impression d’être globalement "défavorisés". Cette situation ouvre bien entendu un boulevard aux populismes de tous bords qui surfent volontiers sur ce trait psychologique, qui se double de la tendance naturelle des générations les plus âgées à idéaliser le passé et est certainement nourrie également par le fait que le passé dictatorial de la RDA ne fait pas réellement l’objet encore d’un travail de mémoire généralisé.
Enfin, elle répond aussi à une tendance positive – avec le risque néanmoins de travestir la dictature passée – celle de tenter de développer une identité régionale par rapport à la RFA ouest et venant s’ajouter à l’identité ancrée dans la région d’appartenance. "Je suis Saxon, mais de ce fait aussi, j’ai vécu en RDA pendant 40 ans". … Cela est parfaitement normal, surtout dans un pays où tous les citoyens se sentent d’abord Bavarois Hambourgeois, etc. avant de se sentir Allemands. S’il n’y avait parallèlement cette propension à s’auto-déprécier – tendance nourrie par des enjeux financiers (transferts divers) – on pourrait affirmer que cette différenciation coïncide elle aussi avec une certaine normalisation. Rappelons que la devise de l’Allemagne est : "unie dans la diversité"…
Dans le cadre du processus de réunification, l’Etat fédéral a mis en place dès 1991 un "Pacte de solidarité" pour assurer les transferts financiers entre l’Ouest et l’Est. Comment ce système de transfert fonctionne-t-il ? Est-il accepté par les Allemands de l’Ouest ? Cet argent a-t-il été bien utilisé ?
Tous transferts confondus, l’ouest a versé jusqu’à ce jour quelque 1 300 milliards € (bruts) à l’ex-RDA pour sa reconstruction. L’ouest verse toujours à l’est, bon an mal an, quelque 4 % de son PIB. Aux versements des deux Pactes de Solidarité (le dernier expire en 2019) s’ajoutent depuis 1995 ceux effectués au titre de la péréquation financière entre Länder. Si ces moyens ont permis de reconstruire des infrastructures modernes (rappelons par exemple qu’en RDA, le téléphone était rarissime), les aides ont été programmées de manière trop indifférenciée et n’ont que trop peu profité à l’outil productif (sauf en Saxe, qui a mené une politique particulière). Surtout, les aides massives ont eu un "effet addictif" (instituts économiques allemands) se traduisant par un certain nivellement, processus fort bien décrit par le Tribunal constitutionnel fédéral dans l’arrêt rendu le 11.11. 1999 à propos du fédéralisme financier. On peut le résumer ainsi : les aides étant garanties, cette situation n’incite guère à réaliser des gains de compétitivité. Aujourd’hui, la plupart des Länder de l’est les utilise pour combler les déficits au lieu d’investir…
Lorsque le Pacte de solidarité arrivera à échéance en 2019, peut-on considérer que le rattrapage économique des régions de l’Est sera accompli ?
Non, si on entend par là 100 % du niveau ouest-allemand, une donnée tout aussi fictive que la moyenne est-allemande. Oui, si on considère que, à l’ouest aussi existent de fortes disparités territoriales, et que "l’ex-RDA" s’est insérée dans le clivage nord-sud de la RFA. Constitutionnellement, les disparités sont aujourd’hui considérées comme acceptables, et les divers correctifs apportés au fédéralisme coopératif et solidaire allemand ont accru l’importance accordée à la concurrence entre les sites.
Les réformes du marché du travail et du système social conduites par Gerhard Schröder en 2003 (Agenda 2010) ont été fortement contestées. Doit on considérer qu’elles sont à l’origine du décollage économique allemand depuis 2006 et de la baisse du chômage ou bien qu’elles ont avant tout conduit à l’accroissement des inégalités sociales et sont à l’origine d’une "nouvelle pauvreté" ?
Ces réformes n’ont été fortement contestées que par certains : quelques groupes au sein du SPD et, surtout, le syndicat ver.di et son conseiller, le mouvement ATTAC. Ils avaient, lors de la campagne électorale dans le Brandebourg, usurpé le titre de "manifestations du lundi" pour réclamer un retour en arrière sur la réglementation des allocations chômage. Si on oublie ces protestations qui suivaient un objectif purement tribunicien (et aujourd’hui populiste), les réformes du système social ont été dans l’ensemble bien acceptées par la population, car dûment expliquées dans l’espace public. La doctrine de fond : le salarié au chômage a des droits, mais aussi des devoirs ; la collectivité intervient toujours, mais seulement en dernier ressort si l’individu ne parvient pas à subvenir à ses propres besoins.
L’objectif des réformes (meilleur suivi des chômeurs, abaissement de la durée de versement des allocations chômage qui sont financées par les cotisations, revenu de substitution forfaitaire versé aux chômeurs de longue durée et assorti de l’obligation de prendre un emploi ou de participer à une mesure de requalification – le RSA français s’inspire de ce dernier point) était d’inciter au retour en emploi. En un mot : de lutter contre le socle jusque là incompressible de chômage de longue durée par une politique de hausse des qualifications et grâce à la réduction des trappes à inactivité.
Et il est vrai que ces réformes, conjuguées à la politique de flexibilisation de la réglementation du travail menée parallèlement par les partenaires sociaux a contribué à abaisser significativement le taux de chômage de longue durée et s’est traduite par une forte baisse du nombre de chômeurs, passé de 5 millions à la fin du mandat du gouvernement Schröder à un peu plus de 3 millions avant la crise ; Comme parallèlement, gouvernement et partenaires sociaux ont ouvert la fourchette salariale par le bas afin de permettre l’insertion des moins qualifiés (et aux entreprises l’embauche d’une main d’œuvre qui leur faisait défaut), cette politique s’est traduite par la levée de la plupart des "rigidités" du marché de l’emploi et a été bénéfique à l’ensemble des activités comme des salariés.
Quant à la "nouvelle pauvreté", il s’agit d’un slogan manié par ceux qui n’ont jamais adhéré aux réformes sociales de l’Agenda 2010 ou, plus traditionnellement, ceux qui partent en guerre généralement contre toutes les manifestations du "démantèlement des acquis sociaux". Certes, l’écart salarial s’est accru, mais pareillement aux deux extrémités. Et l’augmentation du segment à bas salaires s’explique par les mutations structurelles, c’est-à-dire par la hausse des services intensifs en main d’œuvre et qui ne requièrent que de faibles qualifications. Souvent d’ailleurs, ces "petits boulots" faiblement rémunérés servent de revenu complémentaire : ils sont occupés par des étudiants, des retraités ou des épouses…
Or l’argument de "l’accroissement des inégalités sociales" ou de la "nouvelle pauvreté" est surtout manié par ceux qui plaident pour l’instauration d’un salaire minimum généralisé outre-Rhin, faisant fi de l’autonomie des partenaires sociaux de branche. Et dans le domaine des services, cet argument sert à compenser un très faible degré d’organisation syndicale. L’argument relève plus de la polémique que du constat statistique.
Malgré le poids colossal de la réunification, l’Allemagne s’est installée au rang de première puissance économique de la zone euro et de premier exportateur mondial. Quelles sont les clés de la compétitivité allemande ?
Justement le polycentrisme des activités, la diversité des acteurs et de leurs performances, de même que la concurrence interne entre les sites qui crée une saine émulation. Bien sûr, la spécialisation sectorielle des activités est porteuse, de même que l’ouverture foncière de l’économie allemande et son insertion réussi dans le nouveau partage mondial du travail. Mais le plus important peut-être est la circulation permanente des informations dans une société construite sur la communication et les échanges – que ceux-ci soient physiques ou qu’il s’agisse de la confrontation des idées.
La coalition gouvernementale formée par Angela Merkel entre la CDU-CSU et le FDP pourrait elle inaugurer "une nouvelle ère" de la politique économique allemande ?
Une nouvelle ère, non. Cette coalition s’inscrit dans la continuité historique. Union et FDP, SPD et FDP ont à plusieurs reprises constitué des gouvernements au fil des 60 ans de la RFA. Et tous ces partis partagent foncièrement la même doctrine et les mêmes valeurs attachées à l’économie sociale de marché.
Mais la coalition actuelle devra apporter des réponses à des défis qui, eux sont nouveaux. La crise économique déclenchée par la crise financière a révélé les dysfonctionnements du marché mondial de la finance et a accru la conscience de la nécessité d’adopter des règles pour assurer le bon fonctionnement d’une économie globalisée, et notamment de veiller à ce que se réduisent les barrières ou tentations protectionnistes. Enfin, la construction européenne aborde une nouvelle étape. Dans ce contexte, il incombe une grande responsabilité à une économie aussi foncièrement ouverte que celle de l’Allemagne, et qui est de surcroît la première économie de l’UE.
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