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Entretien du 05-11-2010
Catherine de Wenden
Directrice de recherches au CNRS

Immigration, l’Europe est habitée par la peur

 Que vous inspire le bras de fer qui entre la Commission et la France à propos de la politique menée à l’égard des Roms ? Rappelons que le 19 octobre, la Commission a suspendu la procédure d’infraction ouverte à l’encontre de la France suite à l’engagement du gouvernement à mettre sa législation en conformité avec la Directive européenne sur la libre circulation.

Ce bras de fer montre que l’Europe joue son rôle de garde fou à l’égard des tentations électoralistes des pays européens consistant à utiliser le thème de l’immigration pour satisfaire les idées (et recueillir les voix) de l’extrême droite. La condamnation symbolique par la Cour européenne des droits de l’Homme et par la Commissaire européenne à la Justice (Viviane Reding) montre que la France est allée au-delà de ce qui était supportable pour une Europe qui se réclame des droits de l’Homme. Le Parlement européen a aussi joué son rôle en votant une résolution condamnant l’attitude française.

Pour justifier l’adoption du projet de loi sur l’immigration, le Ministre Eric Besson a invoqué "l’obligation de transposer" trois directives européennes, dont la très controversée "directive retour". Qu’en est –il de cette directive et de ce qu’elle contient ? Marque-t-elle un durcissement de la politique européenne ?

Les trois directives portent l’une sur le retour (adoptée par le Parlement européen en juin 2008), qui étend à 18 mois la possibilité pour les pays européens de maintenir en rétention les personnes faisant l’objet d’une mesure d’éloignement du territoire, l’autre sur les conditions d’entrée et de séjour. La directive "retour", dite "directive de la honte" allonge dans la plupart des pays le temps de séjour dans des lieux d’enfermements pour étrangers, sauf au Royaume-Uni où la durée de rétention n’était pas précisée. Elle permet de négocier avec les pays d’origine le retour de sans papiers en échange de marchandages divers (titres de séjour pour les très qualifiés, politiques de développement et de formation, infrastructures comme en Libye la construction d’une autoroute). Il s’agit d’un renforcement de la politique restrictive à l’égard des sans papiers. Mais près de 60% des dispositions de la loi Besson comportent des points sans rapport avec les directives européennes, comme la déchéance de la nationalité française pour les nouveaux français auteurs de crimes à l’égard des forces de sécurité ou les restriction à l’accès aux soins d’urgence pour les sans papiers.

Que pensez-vous du "Paquet sécurité" voté en 2009 en Italie, à l’initiative du gouvernement Berlusconi et de son ministre de l’Intérieur, Roberto Maroni, de la Ligue du Nord ?

Là encore, il s’agit d’une mesure empreinte de visées électoralistes, liée à la demande d’un électorat habité par le sentiment d’insécurité liée à l’immigration. La perte de la Mairie de Rome par la gauche sur le thème de l’insécurité, introduit suite au meurtre d’une femme dans un parking par un rom, appartient au même syndrome de la peur. Dans le même esprit, l’accord bilatéral italo-libyen signé avec le Colonel Kadhafi demandant de contrôler les migrations transsahariennes vers l’Italie en échange de la construction d’une autoroute d’est en ouest du pays et de beaucoup d’argent montre que les pays européens ont moins de confiance dans le contrôle des frontières externes par l’Union européenne que dans les relations bilatérales négociées au cas par cas avec des pays du Sud qui y voient un moyen de se refaire une virginité politique vis-à-vis de l’Europe.

Comment interpréter la montée du populisme et de l’extrême droite en Europe au regard du débat sur l’immigration ?

L’Europe est habitée par la peur car elle craint d’être entrée dans une crise qui marquerait le point final de sa puissance dans le monde. La peur de l’invasion en fait partie et participe du sentiment d’être menacée par des forces externes qu’elle ne contrôle plus comme l’explosion démographique du Sud, la montée de l’Islam, l’arrivée des pauvres et les transformations culturelles afférentes. Ces sentiments sont exploités par l’extrême droite à des fins électorales.

Comme le démontre la récente polémique en Allemagne (suite aux propos du Ministre-président de Bavière (CSU) Horst Seehofer déclarant que l’Allemagne "n’avait pas besoin d’immigration supplémentaire en provenance d’autres milieux culturels"), le besoin de main d’œuvre immigrée pour répondre aux perspectives démographiques d’une Europe vieillissante est un argument contesté. Quelle est votre position sur ce débat ?

Seuls les courants de droite (qui utilisent les arguments de Coleman au Royaume-Uni ou Michèle Tribalat en France) contestent le besoin d’immigration. Tous les travaux d’économistes montrent que la demande de main d’oeuvre est liée à un marché du travail segmenté en Europe où les nouveaux entrants arrivent dans des niches du marché du travail sans concurrence avec les nationaux demandeurs d’emploi. Dans ce contexte, les nouveaux arrivants viennent créer de la richesse supplémentaire par leur travail et atténuent les disparités de richesse avec leurs régions à cause des transferts de fonds qui représentent trois fois le montant de l’aide publique au développement. Quant à l’apport démographique, les travaux d’experts montrent qu’à partir de 2030, seule l’immigration pourra permettre à l’Europe un accroissement de sa population, de même qu’aux Etats-Unis.

Que pensez-vous de manière générale de la politique européenne en matière d’immigration ? Est-elle suffisamment lisible ?

Elle est contradictoire et ambivalente, car elle propose à fois l’ouverture des frontières à une immigration sélectionnée par les compétences et la fermeture aux migrants peu qualifiés, par crainte des difficultés d’intégration. Or, l’Europe a à la fois besoin de migrants très qualifiés, moyennement qualifiés et très qualifiés et les ressources en main d’œuvre de l’Europe de l’Est sont très limitées à cause de la taille de ces pays (sauf la Pologne et la Roumanie, les autres ont à peine 10 millions d’habitants) et de leur population en déclin démographique. Un écart se creuse entre un système institutionnel modelé par le système de Schengen qui a été établi sur des scénarios qui ne se sont pas produits (intense mobilité intérieure et faible pression aux frontières, substitution des nationaux aux étrangers supposés retourner chez eux, fin de l’immigration en Europe) et la réalité des flux, diversifiée, complexe et tournée vers la mobilité plus que vers l’installation définitive.


 

Informations sur Catherine de Wenden
Directeur de recherche au CERI-CNRS, Docteur en Science politique et enseignante à Sciences Po, Catherine de Wenden préside depuis 2002 le Comité de recherche "Migrations" de l'Association Internationale de Sociologie et est également membre de la Commission nationale de déontologie de la sécurité depuis 2003. Ses recherches portent sur les flux et les politiques migratoires, sur la citoyenneté en Europe et dans le monde. Elles s’inscrivent dans le Projet transversal "Migrations et relations internationales" qu’elle co-anime au CERI. Catherine de Wenden a été consultante pour divers organismes dont l’OCDE, la Commission européenne, le HCR, le Conseil de l’Europe.

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