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Si l’industrie figure parmi les politiques de l’Union depuis le Traité de Maastricht , force est de constater qu’elle peine à se concrétiser. Comment expliquez-vous qu’en dépit de certains effets d’annonces, il n’existe pas de véritable politique industrielle européenne ?
La politique industrielle a été souvent imaginée comme une politique colbertiste sous l’angle des aides d’État. Elle s’est dès lors heurtée à une conception du marché intérieur stimulé par la libre concurrence.
Ce n’est que récemment que l’idée d’une stratégie industrielle s’est faite jour en insistant sur l’environnement des entreprises : à la fois grâce à un rapprochement des fiscalités de nature à faciliter la recherche entrepreneuriale privée, grâce à une politique de brevets moins chers, plus accessibles, grâce à un meilleur usage du marché intérieur, avec des normes, grâce à une politique de commerciale extérieure plus soucieuse de réciprocité, grâce enfin à un euro moins surévalué.
Quels sont selon vous les facteurs clés et les secteurs stratégiques de nature à permettre de constituer une base industrielle européenne ?
L’effort de recherche publique et privée est un premier levier. Mais, malgré la stratégie de Lisbonne, l’Union est restée en déca des 3% d’investissement souhaités. Les compétences humaines ensuite : l’Union ne dispose pas d’observatoire des formations et la carte bleue européenne est insuffisante pour attirer des ingénieurs indiens par exemple. L’énergie enfin, car le marché commun de l’énergie est encore à ses débuts, faute d’interconnexions frontalières et d’une stratégie communautaire d’approvisionnement. L’Union vient de se doter d’un tableau de bord de l’innovation qui pourrait devenir une incitation forte vis-à-vis des Etats membres.
Quant aux secteurs stratégiques, je dirais que l’Europe se doit d’être performante pour tout ce qui concerne les nouvelles énergies, mais aussi la santé et la prévention du vieillissement. Elle doit combler son retard dans les nouvelles technologies d’information et de communication. Mais, compte tenu du savoir accumulé et de leur expérience, les Européens pourraient innover en bien des secteurs industriels : je pense aussi bien aux transports qu’à l’espace.
Dans son évaluation à mi-parcours du programme Galileo, la Commission évalue au bas mot à 1,9 milliards d’euros, les crédits supplémentaires indispensables à la mise en place de ce qui doit être notre système européen de navigation par satellite. Vous qui avez su surmonter les premières difficultés de ce programme, croyez-vous en la capacité de l’Europe de mener à bien le premier programme industriel européen ?
Oui, Galileo devrait voir le jour. Mais l’Union serait bien inspirée de se hâter car les concurrents russe et chinois ne vont pas manquer.
Ces 2 milliards d’euros supplémentaires paraissent être une somme raisonnable pour mettre en œuvre un système de géo-localisation efficace et susceptible de nombreuses applications qui devraient concerner de nombreuses petites et moyennes entreprises européennes.
Avec un budget européen limité à 1% du PNB européen, comment peut-on même penser à la mise en œuvre d’une politique industrielle européenne ?
La mise en œuvre d’une politique industrielle européenne exige d’abord un engagement financier des États membres à travers notamment une fiscalité plus adaptée aux entreprises. Au niveau de l’Union, il s’agit de créer un cadre favorable à l’industrialisation à travers des normes, un encadrement humain de qualité, une grande vigilance sur les accords de commerce international. Il n’en reste pas moins que d’un budget européen convenable dépendent de grands projets comme par exemple la réalisation des infrastructures de transport d’énergie, nécessaires à un marché unique de l’énergie.
Cinq Etats membres dont la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne proposent de geler le budget de l’UE à l’approche de la grande négociation sur le cadre budgétaire pluriannuel. Comment interpréter cette proposition ?
Ce gel est incompréhensible dans la mesure où il vise aussi bien les dépenses d’investissement que les dépenses de fonctionnement. Il risque d’entraîner une forme de stagnation alors que le potentiel de croissance dépend fortement de l’investissement.
Ce qui serait plus grave encore, serait de priver l’Union de ressources propres, qui seules peuvent permettre à l’Europe d’emprunter et de financer des projets proprement européens dont les retombées seraient très fructueuses pour les Etats membres.
Le développement du réseau transeuropéen de transport (RTE-T) a été l’un de vos dossiers majeurs en tant que Commissaire aux transports. Où en est ce projet ?
J’ai en effet lancé le réseau transeuropéen de transport qui connaît un rythme de réalisation variable selon les Etats membres.
La vraie bataille s’articulera autour du montant disponible qui dépendra des perspectives financières. Heureusement le Parlement européen a fait savoir qu’il s’opposerait à toute diminution du niveau de financement actuel du RTE-T, soit 8 milliards d’euros sur sept ans. Il est vrai que les fonds de cohésion peuvent intervenir en surplus pour les pays éligibles. Mais l’expérience prouve que les interconnexions transfrontalières sont tributaires des sommes que l’Union peut mettre sur la table pour la réalisation de ces sections transfrontalières. À vrai dire, le réseau ferré et le réseau fluvial peuvent beaucoup soulager les routes et permettre de réduire les émissions de CO2. Je persiste à penser que l’Union et les Etats membres ne leur portent pas suffisamment d’intérêt.
N’assiste-t-on pas depuis ces dernières années et à la faveur de la crise, à un recul de la méthode communautaire au profit de la méthode intergouvernementale ? Est-ce de mauvaise augure pour l’approfondissement de l’intégration européenne ?
La méthode intergouvernementale peut s’avérer utile. Elle a par exemple permis de mettre sur pied le fonds de stabilisation financière, qui est fortement tributaire des Etats membres, dont en premier lieu l’Allemagne et la France. Mais elle ne saurait se substituer à la méthode communautaire sans graves dommages. Cela conduirait en effet à abaisser le niveau d’ambition, en faisant l’économie du soutien du Parlement européen. Cela priverait la Commission de son rôle de pourvoyeur d’initiatives et de contrôle de la mise en œuvre de ces initiatives.
La méthode communautaire privilégie un intérêt général européen. La méthode intergouvernementale recherche dans l’unanimité un commun dénominateur entre les intérêts des Etats membres, qui s’avère le plus souvent le plus petit dénominateur commun.
La montée de la corruption et de la criminalité en Europe sont un fait patent. L’UE, qui n’a ni police, ni juridictions pénales, est-elle en mesure d’enrayer cette évolution ?
L’Europe a heureusement la chance d’avoir un Europol qui est maintenant une agence communautaire et qui peu à peu bénéficie de la confiance des polices. Encore que les polices de certains États membres négligent d’adresser systématiquement leurs données à Europol.
Mais c’est aussi Eurojust, qui a désormais des compétences nouvelles et notamment celle d’initier et de coordonner des enquêtes sur le territoire de plusieurs Etats membres.
En tant que Commissaire à la justice, j’ai préparé le programme pluriannuel dit de Stockholm qui prévoit le rapprochement des incriminations et des sanctions pénales pour des crimes organisés tels que la traite des êtres humains et la criminalité cybernétique.
L’Europe a encore beaucoup à faire pour défendre efficacement ses citoyens face au crime organisé et à la corruption. La perspective désormais inscrite dans le traité de Lisbonne d’un procureur européen, disons d’une action publique au niveau de l’Europe, montre que l’Europe se rapproche de cette communauté de droit et de justice qu’elle doit devenir.
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