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Entretien du 02-07-2011
André-Claude Lacoste
Président de l'Autorité de Sûreté nucléaire

La sûreté nucléaire est une problématique européenne

 Pourriez-vous nous en dire plus sur l’action de l’Autorité que vous présidez ?

L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) est une autorité administrative indépendante chargée de contrôler la sûreté nucléaire et la radioprotection de toutes les activités nucléaires civiles en France. Elle a été créée par la loi dite "TSN" du 13 juin 2006 (relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire) mais ses fonctions sont exercées depuis 1973.

L’ASN contrôle toutes les activités nucléaires civiles en France (production d’énergie, cycle du combustible, applications industrielles, médicales et de recherche), pendant tout leur cycle de vie (depuis la conception jusqu'à l’arrêt ou démantèlement). Au-delà des aspects techniques et matériels, nous nous intéressons également aux aspects humains et organisationnels (formation, management des compétences, ergonomie, conditions de travail…).

Nous avons pour ambition d’assurer un contrôle des activités nucléaires civiles performant, impartial, légitime et crédible, qui soit reconnu par les citoyens et constitue une référence internationale.
Si je devais résumer le sens de notre mission, je dirais qu’il est de protéger les travailleurs, les patients, le public et l’environnement des risques liés aux rayonnements ionisants, et de contribuer à l’information du public sur ces sujets.

L’EPR apportera-t-il des garanties de sécurité supplémentaires ?

Les objectifs de sûreté de ce nouveau type de réacteur ont été définis à partir de 1993 conjointement par les Autorités de sûreté nucléaire française et allemande, puis formalisés par des directives techniques de sûreté pour la conception et la construction. L’ASN a communiqué ces objectifs de sûreté en 2004 à EDF.

L’examen par l’ASN et ses appuis techniques du projet EPR, dès sa genèse, a permis d’influer sur la définition des objectifs de sûreté pour accroître le niveau de sûreté, de radioprotection et de protection de l’environnement du réacteur EPR par rapport aux réacteurs existants.
L’ASN considère que le niveau de sûreté atteint par la technologie EPR est supérieur à celui des réacteurs aujourd’hui en exploitation en France, niveau qu’elle juge déjà satisfaisant.

Est-il raisonnable en France d’avoir prolongé la durée de vie des centrales de 30 ans environ ?

En France, les installations nucléaires n’ont pas de durée d’exploitation limitée a priori. La loi "TSN" du 13 juin 2006 impose donc aux exploitants de réaliser périodiquement un réexamen de la sûreté de chacune de leurs installations. Ce réexamen est réalisé tous les dix ans. Les visites décennales (VD) sont des moments privilégiés pour mettre en œuvre les modifications issues du réexamen de sûreté.

Les réexamens périodiques visent ainsi à répondre à deux questions : les installations sont-elles conformes aux exigences retenues lors de leur conception ? Où leur niveau de sûreté se situe-t-il par rapport à celui d’installations plus récentes ?

L’ASN se prononce en deux temps. D’abord, de façon générique (par type de réacteur) sur le nouveau référentiel de sûreté proposé par EDF, et sur la capacité des modifications envisagées par EDF à maintenir et améliorer suffisamment le niveau de sûreté global des réacteurs. Ensuite, réacteur par réacteur, environ un an après la visite décennale, afin de tenir compte des éventuelles spécificités de chaque réacteur.

En juillet 2009, l’ASN a pris position sur les aspects génériques de la poursuite de l’exploitation des réacteurs de 900 mégawatts jusqu’à 40 ans. L’ASN n’a pas identifié d’élément générique mettant en cause la capacité d’EDF à maîtriser la sûreté des réacteurs pendant cette période. En particulier, l’ASN n’a pas identifié d’élément générique mettant en cause l’aptitude au service des cuves des réacteurs de 900 MWe jusqu’aux prochaines visites décennales.

L’ASN s’est prononcée le 4 novembre 2010 sur le cas du réacteur n°1 de la centrale du Tricastin. L’ASN a considéré que ce réacteur est apte à être exploité pour une durée de dix années supplémentaires après sa troisième visite décennale.

Les normes contenues dans la directive européenne de 2009 sont-elles suffisantes au regard de la catastrophe de Fukushima ?

La directive sur la sûreté nucléaire adoptée en 2009 reprend l’essentiel des dispositions de la Convention sur la sûreté nucléaire, et non les normes de sûreté détaillées de l’AIEA. Elle constitue à cet égard un cadre général de sûreté en Europe. Chaque pays exploitant des installations nucléaires est responsable de la sûreté nucléaire sur son territoire. Il peut s’appuyer sur les travaux techniques de l’AIEA, en particulier sur les normes de sûreté que la Commission sur les standards de sûreté développe. Mais il lui appartient, ainsi qu’à son Autorité de sûreté nationale, d’identifier les enjeux de sûreté spécifiques dans son pays. Si l’on prend l’exemple de Fukushima en particulier, il est désormais admis que le Japon (gouvernement, Autorité de sûreté, opérateur) ont sous-estimé la probabilité d’un raz-de-marée aussi important que celui survenu en mars 2011. Les autorités compétentes de chaque pays doivent donc, en s’appuyant sur les normes de l’AIEA, définir leurs exigences en matière de sûreté. L’enjeu, ensuite, est la capacité du système international de vérifier que les bonnes dispositions sont prises. C’est pourquoi l’ASN est favorable, d’une part au renforcement et à l’amélioration des normes de sûreté et, d’autre part, au renforcement des « audits par les pairs ». Ils consistent en l’examen par une équipe composée de membres d’Autorités de sûreté étrangères du cadre de sûreté d’un pays donné, de vérifier que les dispositions des conventions internationales et les normes de l’AIEA sont appliquées, et de proposer au besoin des mesures correctives.

L'accord finalement trouvé sur les modalités des tests de résistance des centrales nucléaires dans l'UE  est-il satisfaisant du point de vue aussi bien des critères que du calendrier retenu ?

Il faut en premier lieu se représenter ce qui a été réalisé. Si plusieurs pays dans le monde (États-Unis, Canada, Inde…) ont lancé des tests de résistance à la suite de Fukushima, l’Europe est un cas unique de "zone politique et géographique" étant parvenue à un cahier des charges commun pour ces tests. Cela signifie en clair que les quelques 143 réacteurs nucléaires exploités en Europe seront examinés avec la même grille d’analyse. Il faut également garder à l’esprit que ceci a été obtenu en seulement 2 mois (la demande formelle du Conseil Européen date du 25 mars, l’accord a été finalement obtenu le 25 mai).

Dès lors, j’estime que l’accord dégagé est un formidable succès, qui n’aurait pas pu être obtenu sans l’existence préalable d’organes de concertation entre Autorités de sûreté européennes, tels que WENRA (Western European Nuclear Regulators). Et je ne peux que regretter que la surenchère voulue par la Commission, visant à intégrer dans les tests des thèmes qui ne relevaient tout simplement pas des compétences des Autorités de sûreté membres d’ENSREG (The European Nuclear Safety Regulators Group), ait a contrario généré de la suspicion à l’égard de ces tests.

En cas de défaillances constatées, les autorités nationales pourront seules décider de la fermeture d'une centrale. La sécurité nucléaire ne devrait-elle pas être une mission commune de l’Europe ?

Un arrêt de la CJCE de 2002 a reconnu à la Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA) des compétences en matière de sûreté nucléaire, et je m’en réjouis. C’est ce qui a ouvert la voie à l’adoption d’une directive sur la sûreté des installations nucléaires, et bientôt une directive sur la sûreté de la gestion des déchets et du combustibles usés. J’ai milité pour que ces directives voient le jour, la France a beaucoup œuvré pour qu’un cadre réglementaire voie le jour au plan européen. Je suis donc le premier convaincu que la sûreté nucléaire est une problématique européenne, et que le cadre réglementaire doit être encore renforcé à la faveur du mandat donné par le Conseil Européen à la Commission européenne (Conseil Européen du 25 mars 2011), notamment sur les thèmes de la transparence, de la gestion des situations d’urgence, de la surveillance de la radioactivité aux frontières…
S’agissant de la capacité de l’UE de fermer une centrale défaillante, il ne m’appartient pas de proposer de nouvelles compétences communautaires sur ce thème.

Je soulignerai juste que, d’expérience, et au-delà du fait que les conventions internationales insistent sur la responsabilité de chaque pays dans le contrôle de la sûreté, celle-ci peut être de mon point de vue mieux assurée au plan national, en raison de la meilleure connaissance des installations, du suivi approfondi qui peut être fait de leur fonctionnement.
Il faut se méfier des "belles idées en théorie" consistant à créer une Autorité de sûreté européenne, dont on ne sait pas quelles seraient les fonctions, et qui serait un objet un peu désincarné.

Il y a une répartition des tâches qui doit, de mon point de vue, être claire : à l’UE le rôle de mettre en place un cadre réglementaire général robuste et exigeant pour tous les pays de l’UE ; aux autorités nationales, et notamment aux Autorités de sûreté, d’assurer un contrôle efficace des installations nucléaires sur leur territoire.

Le citoyen est-il bien informé en France et de manière générale en Europe sur les risques et avantages du nucléaire ? Que faudrait-il faire éventuellement pour améliorer la situation actuelle ?

Je suis convaincu que la transparence est une condition nécessaire pour que le contrôle du nucléaire soit crédible et reconnu par les citoyens.
Beaucoup d’informations sont disponibles, notamment sur Internet mais il faut rappeler que le nucléaire est un sujet "pointu" qui requiert un effort de pédagogie de la part des émetteurs de l’information mais également un effort de compréhension de la part du public.

En France, le législateur a consacré la transparence dans le domaine nucléaire dans la loi du 13 juin 2006, dite loi "TSN". Celle-ci définit la transparence comme "l’ensemble des dispositions prises pour garantir le droit du public à une information fiable et accessible en matière de sécurité nucléaire".

La loi confère clairement une mission d’information à l’ASN. L’ASN s’emploie à donner aux citoyens des informations claires, complètes et accessibles. Nous nous attachons à faire évoluer nos modes d’action et nos supports d’information pour répondre aux attentes de nos différents publics (professionnels, grand public, public averti).

Nous avons développé une large gamme d’outils : relations avec la presse, site Internet, publications, événementiels, etc.

En matière de contenu, l’ASN publie, depuis 2002, les lettres de suite de toutes les inspections réalisées dans les installations nucléaires de base. Depuis 2008, nous avons étendu cette publication aux lettres de suite d’inspection de radiothérapie et, depuis 2010, aux lettres de suite d’inspection du nucléaire de proximité. Ainsi, chaque année, l’ASN rend disponibles sur son site Internet plus de 1 300 lettres de suite d’inspection pour l’ensemble des activités qu’elle contrôle.

Enfin, et pour ce qui concerne l’échelon européen, la directive sur la sûreté nucléaire de 2009 contient un article sur l’information du public, demandant à tous les États membres de l’UE d’assurer cette information. On peut bien sûr aller plus loin, et je suis pour ma part favorable à un texte européen spécifique sur la transparence dans le domaine nucléaire, qui aille aussi loin que la loi française "Transparence et sécurité nucléaire" en la matière.


 

Informations sur André-Claude Lacoste
André-Claude Lacoste est Président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) depuis 2006. Haut fonctionnaire au sein du Ministère de l'Industrie, il est en charge entre 1978 et 1990 de la sécurité et du contrôle des installations industrielles. Nommé adjoint au Directeur Général de l’Industrie en 1990, il devient en 1993 Directeur Général de la Sûreté Nucléaire et de la Radioprotection (DGSNR) (jusqu'en 2002).
André-Claude Lacoste est membre fondateur et ancien président de l’association WENRA (Western European Nuclear Regulators’ Association) et de l'INRA (International Nuclear Regulator’s Association).
Il est président de la Commission on Safety Standards (CSS), qui contrôle l’élaboration des normes de sûreté nucléaire pour l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) et président du Multinational Design Evaluation Programme (MDEP), une initiative multinationale visant à mutualiser les ressources et les connaissances des Autorités de sûreté qui ont à évaluer la sûreté de nouveaux réacteurs.

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