Le Cercle des Européens...
Pour une Europe réunie...
Gil Carlos Rodríguez Iglesias, ancien Président de la Cour de Justice des Communautés européennes, et Guy Canivet, Premier Président de la Cour de Cassation, étaient tous deux les invités des Rencontres du Cercle des Européens-L’Express, le 27 septembre 2005. Ils ont livré leur analyse du développement et du fonctionnement actuel du système judiciaire européen.
Le Président Iglesias a exercé pendant 18 ans à la Cour de Justice de Luxembourg et en a été le président pendant 9 ans. Il symbolise selon Noëlle Lenoir le dialogue des juges puisqu’il est chargé aujourd’hui par le Conseil de l’Europe de réfléchir à l’avenir de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, autre cour européenne extrêmement influente. M. Iglesias préside par ailleurs un think tank des plus prestigieux et des plus influents en Espagne sur tout les problèmes de droit international, et a repris ses cours à l’université de Madrid.
M. Canivet est non seulement le 1er magistrat de France, le 1er Président de la Cour de Cassation mais, note Noëlle Lenoir, c’est aussi à la fois un européen convaincu et un européen actif puisque il préside un certain nombre d’associations parmi lesquels l’association des cours judiciaires européennes, dont il est le créateur et qui permet aux juges des 25 Etats membres de l’Union d’échanger non seulement des idées mais aussi des informations sur leur jurisprudence respective. Noëlle Lenoir note à ce propos que le dialogue entre les juges d’une part et entre les juges et les parlements d’autre part est finalement bien plus actif et efficace qu’entre les parlements nationaux et le Parlement Européen.
Comme, point de départ, M. Iglesias a souligné comment, depuis la création de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier en 1952, le droit a été continuellement décisif dans le processus d’intégration européenne. Il note à ce propos que, s’il est vrai que la construction communautaire a été conçu dès le début comme un processus économique et politique, l’intégration économique a été largement assurée juridiquement par les règles du droit communautaire. Ainsi, pour M. Iglesias, ce sont les règles juridiques sur l’établissement et le fonctionnement du marché commun puis du marché intérieur qui constituent les fondements de l’intégration économique européenne. Elles concernent notamment l’activité des opérateurs économiques et c’est d’ailleurs dans ce domaine que le rôle du Juge est particulièrement perceptible puisque la réalisation des libertés économiques fondamentales, qui sont au cœur du marché intérieur, doit beaucoup à la jurisprudence de la Cour de Justice des communautés européennes.
En ce, M. Iglesias a remarqué que la Cour, qui avait la position institutionnelle pour le faire, a procédé à une interprétation large des libertés économiques fondamentales du marché intérieur. Ainsi, elle a reconnu l’effet direct des dispositions consacrant ses libertés, en ce sens que les opérateurs économiques peuvent s’en prévaloir devant les juridictions nationales quand toute la mesure ou des dispositions complémentaires communautaires ou nationales ne sont pas indispensables. Cette jurisprudence de la Cour qui a été d’abord élaboré au sujet de la libre circulation des marchandises s’est ainsi étendu aux autres libertés économiques fondamentales - la philosophie est toujours une philosophie d’interprétation et antiprotectionniste. Pour M. Iglesias, cette jurisprudence a facilité la réalisation de l’intégration du marché dans la mesure où elle a amené la Commission Européenne a réduire son programme d’harmonisation de législation.
Le 2ème aspect que souligne M. Iglesias concerne l’interprétation fondée sur l’effet utile des dispositions qui établissent des procédures de contrôle préalable pour prévenir les obstacles à la libre circulation et à la concurrence. Si la Cour a considéré, sur fondement des textes, que les réglementations techniques nationales adoptées sans s’acquitter de l’obligation de communication préalable pour contrôle à la Commission, ne sont pas opposables aux opérateurs économiques concernés, alors cela renforce évidemment le sens, l’effectivité des contrôles préalables visant à éviter que de nouveaux obstacles de caractères technique aux échanges n’apparaissent. Lorsqu’une aide d’état n’a pas été notifiée au préalable à la Commission, cette aide est illégale, reste illégale, cette illégalité peut être déclarée par le Juge nationale même si après, la Commission considère que l’aide est au fond compatible avec le marché commun.
Le 3ème point que relève M. Iglesias concerne le développement jurisprudentiel et la protection de droits fondamentaux. Il n’y avait pas de charte de droits fondamentaux, il n’y en a toujours pas vraiment puisqu’elle n’a pas encore une valeur juridique formelle faute d’entrée en vigueur de la Constitution. Il est donc revenu à la Cour de développer par la voie jurisprudentielle la protection des droits fondamentaux dans le domaine d’application du droit communautaire, notamment le droit fondamental des opérateurs économiques et le droit fondamental des travailleurs.
En conclusion, M. Iglesias souligne que le rôle joué par la Cour Européenne dans le système communautaire ne peut nullement être dissocié et n’est même nullement concevable sans relever en même temps celui qui revient aux juridictions nationales car une caractéristique essentielle du système judiciaire européen réside justement dans le fait qu’il comporte la branche proprement communautaire et d’autre part les juridictions nationales chargées de l’application du droit communautaire et notamment de la protection des droits des particuliers. Ce système est fondé depuis le début sur le principe de subsidiarité en ce sens qu’on a réservé à la Cour de justice les seules compétences qui ne pouvaient être utilement attribuées aux juridictions nationales.
Prenant à son tour la parole, M. Canivet a noté que depuis les années 80, la connaissance des problèmes judiciaires s’était améliorée, et que surtout en période de crise politique de l’Europe, on a tendance à se retourner devant le juge. Dans les années 70, l’ancien Garde des Sceaux qui était président de la cour de justice des communautés, Robert Lecourt, le notait d’ailleurs dans un de ses livres, en expliquant que la justice communautaire, l’ordre juridictionnel communautaire était celui qui avait inscrit la continuité dans la progression de l’Europe et qui par conséquent était capable de prendre le relais de la politique lorsque la politique connaissait des périodes d’essoufflement comme c’est le cas maintenant.
Selon M. Canivet, on peut noter que le mécanisme juridictionnel crée une dynamique de l’Europe qui est une dynamique propre. Et cette dynamique se fonde selon M. Canivet sur une structure juridictionnelle et sur une force qu’ont donné les traités et la jurisprudence à cette continuité européenne dans le domaine judiciaire. La structure est organisée selon une relation intelligente, que M. Canivet qualifie même de géniale, dans les relations entre Cour de justice et juges nationaux, dans la mesure où cette articulation devient supérieure à une organisation judiciaire fédéral en ce qu’ elle ne sépare pas les justices des Etats et les justices fédérales mais qu’au contraire elle les intègre les unes dans les autres et crée entre elles une dynamique intéressante. Elle responsabilise les juges nationaux en faisant des juges de droit commun des juges du droit communautaire. Le juge national est souvent aux 1ère lignes en ayant une responsabilité dans la mise en œuvre d’un droit nouveau qui lui permet à la fois de découvrir un nouveau contentieux et de découvrir de nouvelles méthodes de jugement qui intègrent les économies.
La 2ème originalité c’est que ce juge national va s’appuyer sur un juge communautaire, sur la Cour de justice des communautés dans une relation de coopération, et qui par conséquent vont lier les deux justices, les deux ordres juridictionnels, dans ce rapport intelligent entre la cour de justice des communautés européennes et ces juges nationaux. Il s’instaure alors une dynamique d’autant plus forte que la jurisprudence est venue renforcer l’effet de ce mécanisme et leur permet d’avancer le principe effet direct du droit communautaire qui autorise le juge national à appliquer des droits communautaires comme son droit national sans aucun acte de réception des parlements :c’est le parti de primauté qui fait que ce droit communautaire est appliqué avec une force supérieure au droit national. C’est donc un considérable pouvoir qui se donne au juge : celui d’évincer l’application du droit national pour donner effet au droit communautaire. Ce juge qui jusque là était totalement subordonné à la loi, a maintenant une prise sur la loi, une responsabilité dans la mise en œuvre du droit communautaire.
La 3ème force du Juge réside selon M. Canivet dans le fait de rechercher dans l’interprétation du droit communautaire ce qui va dans le sens du Traité, ce qui répond à l’esprit du Traité, ce qui permet au Traité de libérer toute sa potentialité. Le dernier point que souhaite développer M. Canivet est le principe d’interprétation finaliste du Traité : le juge national comme le juge communautaire doit interpréter les Traités en fonction de leurs objectifs. Or, si on lit le projet de Constitution, celui-ci définit les objectifs comme suit : l’Union œuvre pour le développement durable fondé sur une croissance économique équilibrée, une économie sociale des marchés hautement compétitive qui tend au plein emploi et au progrès Ceci constitue le guide d’interprétation qui s’ouvre au juge national comme au juge communautaire. En définitive,selon M. Canivet, c’est une nouvelle méthode juridictionnelle qui change radicalement le rôle du juge, dans la mesure où la juridiction devient très explicitement un organe de mise en œuvre des politiques communautaires.
C’est là qu’est né, selon M . Canivet la communauté des juges européens. Elle s’est développée aussi par ce qu’on appelle le 3ème pilier, les questions de justices d’affaires intérieures, qui, en marge du droit communautaire, ont construit des coopérations horizontales par principe simple c’est celui de la libre circulation des décisions de justice aussi bien en matière civile qu’en matière pénale, ce qui veut dire que dans l’Europe, maintenant, chaque fois qu’un juge tranche un litige civil ou commercial, sa décision va s’appliquer dans chacun des pays d’Europe, pratiquement sans aucun acte de réception. Ce qui veut dire qu’il faut que ces justices correspondent entre elles, que ces juges se reconnaissent et qu’ils lient entre eux des liens de confiance. Il est clair que pour appliquer sans acte de réception la décision d’un juge tchèque, d’un juge allemand, d’un juge espagnol ou d’un juge italien en France, il faut avoir confiance dans le système de justice qui a rendu cette décision. Donc s’est développé à partir de là, des relations de coopération horizontales entre les justice d’Europe qui se sont créées sur un mode plus ou moins formel des réseaux de juges : le 1er s’est constitué en France à l’occasion des célébrations du bicentenaire du code civil une association des Juridictions Suprêmes de l’Union Européenne qui a maintenant deux ans d’existence et un grand dynamisme, et dont la vocation est double : créer ces liens de confiance au niveau supérieur des institutions judiciaires, et surtout servir de contrepoids tout au moins d’ interlocuteur crédible aux institutions communautaires et notamment, la Commission, chaque fois que la Commission traite de questions qui ont un retentissement sur les institutions judiciaires.
Mme Lenoir a noté combien le sujet est au cœur des problématiques non seulement économiques, juridiques mais aussi politiques de l’Europe, et qu’il est remarquable de constater qu’il existe entre les juges nationaux et les juges européens d’une part et entre les juges nationaux eux mêmes d’autre part, un réseau qui les enrichit réciproquement.
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