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La présidente du Cercle des Européens revient sur France Culture à propos de la nouvelle constitution en discussion en Egypte dans "Le monde selon Noëlle Lenoir".
Force est de constater que – partout où ont éclaté les révolutions arabes – ce sont les islamistes qui ont su tirer les marrons du feu. En Tunisie, en Libye, en Egypte et demain en Syrie – quoi qu’on pense des abominations commises par Bachar El Assad contre son peuple - nous avons et nous aurons un pouvoir islamiste.
J’en ai un peu assez d’entendre des esprits avisés nous faire accroire que c’est le passage obligé vers la démocratie et que ces régimes seront obligés tôt ou tard de respecter le pluralisme, les libertés et l’égalité entre hommes et femmes. J’en ai assez d’entendre que notre vision des libertés et des droits de l’homme est inexportable et qu’il faut laisser à ces pays et à leur peuple leur choix propre, lequel passerait par la consécration de la Charia comme source de la législation.
Ce relativisme est pour moi ce qu’il y a de pire en politique. C’est une attitude de Ponce-Pilate et à cet égard, ce qui se passe aujourd’hui en Egypte doit nous faire méditer.
En effet, fort heureusement, après le règne sans partage de Moubarak qui a maintenu pendant 30 ans l’Egypte sous état d’urgence, l’esprit de liberté, qui a soufflé sur la place Tahrir pour faire sortir Moubarak, est toujours là.
Voyez un peu : Muhammad Morsi, premier Président Egyptien démocratiquement élu, pensait avoir les mains libres pour façonner le pays en fonction des vues du parti des Frères Musulmans dont il est issu.
Eh bien, aussi étonnant que cela puisse paraître, cela n’a pas marché comme il l’aurait souhaité.
Pour le Président Morsi, qui a riposté en suscitant des contre-manifestations massives des Frères Musulmans et des salafistes, ce sont les pro-Moubarak qui l’empêchent de mener à bien la transition vers la démocratie selon la conception qu’il en a, c’est-à-dire un régime soumis à la Charia.
Pour ceux qui s’insurgent contre lui, le Président Morsi ouvre tout simplement de nouveau la porte à la dictature.
C’est bien un terrible bras de fer qui oppose donc Charia et état de droit. Certes, la référence dans la future Constitution aux principes de la Charia comme la « source de toute législation » figurait également dans la Constitution Moubarak. Mais les Frères Musulmans n’étaient pas au pouvoir et les salafistes n’étaient pas en soutien du gouvernement et donc capables d’appliquer la loi islamique de pire façon.
En tant que femme, je suis tout bonnement horrifiée quand je vois la Charia prendre le pas sur la loi civile. Car je sais ce que cela veut dire pour les femmes : droit du mari de disposer de sa femme comme il l’entend, de la contraindre à l’enfermement dans l’espace domestique, de lui infliger des châtiments corporels pour insoumission, de lui interdire toute profession, voire en Arabie Saoudite de lui interdire de conduire une automobile, et en Somalie et en Iran – pour ne citer que des exemples récents – droit de lapider à mort les femmes adultères.
Ainsi que l’a relevé dans plusieurs jugements la Cour européenne des droits de l’Homme à propos de la Turquie : la Charia n’est pas compatible avec la démocratie, du fait du refus du pluralisme et de la liberté d’expression et de la place faite aux femmes dans l’ordre juridique.
Mais ne nous faisons pas d’illusion. Si la proposition des salafistes de voir admettre le mariage avec des fillettes pré-pubères a apparemment fait long feu, la disposition en question reste en filigrane dans le projet de Constitution, et la Charia restera, selon cette Constitution, la source de toute législation dans. Or les Frères Musulmans font campagne en faisant valoir que tout bon musulman, impatient de se débarrasser des infidèles, doit voter Oui, et cette Constitution sera donc vraisemblablement adoptée.
Pour autant, ce Oui aura un prix : une perte de légitimité du Président Morsi, d’abord, et la profonde division la société civile égyptienne, ensuite, du fait de l’aspiration de bon nombre de ses membres à la liberté.
Un second enseignement peut aussi être tiré de la situation égyptienne, à savoir que quand un pouvoir politique nie l’autorité des juges, c’est-à-dire rejette tout contre-pouvoir, alors – comme disait Montesquieu – c’est le pouvoir absolu qui s’installe, i.e. un pouvoir qui corrompt absolument. Bien des cours constitutionnelles ont résisté en Europe avec plus ou moins de succès : la Cour Hongroise s’est hélas fait confisquer la plupart de ses pouvoirs par le Premier ministre Orban tandis que la Cour Polonaise du temps des jumeaux Kaczynski avait su s’opposer à leur tentative de mater leurs opposants libéraux. Droit constitutionnel contre Constitution de la Charia, voilà l’enjeu pour les Egyptiens et pour nous tous ! En tous les cas, je voterai moi, si l’occasion m’en était donnée, pour que les libertés constitutionnellement protégées triomphent enfin en Egypte.
https://twitter.com/noellelenoir
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