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Entretien du 21-12-2009
Michèle Weinachter
Maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise

L’érosion de la CDU et du SPD marque une normalisation de l’Allemagne

 Peut-on dégager des spécificités propres au paysage politique de l’ex-RDA et à celui de l’ex-RFA ?

Le paysage politique allemand est aujourd’hui en grande partie unifié. Au moment de la réunification, les partis politiques ont en effet cherché à fusionner avec leur équivalent de l’autre côté de l’ancien rideau de fer – quand cela a été possible. Ce processus a pris du temps. Côté Est, on sortait d’une dictature, et certains partis ont dû au préalable être re-fondés, comme la social-démocratie.

Il reste toutefois des spécificités propres au paysage politique est-allemand, aux deux extrémités de l’échiquier politique. D’une part l’extrême droite connait des succès plus importants dans les Länder issus de l’ancienne RDA. Cela s’explique en partie par le caractère fermé de la société en RDA, où le taux d’étrangers était très faible, et où l’on est donc peu habitué au multiculturalisme, mais aussi par le désarroi de certains jeunes en difficulté, plus facilement manipulables par des partis extrémistes. Dans sa stratégie, le NPD (Nationaldemokratische Partei Deutschlands) vise ainsi explicitement, les jeunes des "nouveaux Länder". Il convient toutefois de relativiser ce phénomène. Nulle part l’extrême droite n’atteint des scores tels que Jean-Marie Le Pen a pu en obtenir en France, et au niveau national ses scores sont faibles. Lors des dernières élections législatives de septembre 2009, le NPD n’a réalisé que 2,8% et l’extrême droite n’a pu obtenir un seul siège au Bundestag malgré une clé de répartition proportionnelle. La forte exposition médiatique des groupes néo-nazis donne souvent une image faussée de leur influence politique.

On constate d’autre part une plus forte implantation de l’extrême gauche à l’Est qu’à l’Ouest, bien qu’elle soit également en progression dans cette partie de l’Allemagne. Lors des dernières élections, le parti de la gauche radicale, Die Linke, a ainsi obtenu 28% dans les "nouveaux Länder", contre 8% à l’Ouest.

A l’image d’Angela Merkel, originaire de RDA, peut-on aujourd’hui considérer que le personnel politique est-allemand a gagné sa place sur l’échiquier fédéral et que les citoyens de l’ex-RDA se sentent bien représentés ?

Oui, certainement, bien que cela ait été plus frappant il y a cinq ans lorsqu’Angela Merkel est devenue la première femme, mais aussi la première personne originaire de l’ex-RDA à accéder à la Chancellerie. Ceci a également pris une dimension particulière au moment des commémorations du vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin.

Du côté du SPD, on peut également citer Matthias Platzeck, originaire de Potsdam, ancien Président fédéral du parti (2005-2006) et actuellement Ministre-président du Land de Brandebourg.

A la lumière de la composition du nouveau gouvernement d’Angela Merkel on pourrait toutefois considérer qu’il y a une certaine régression dans le sens où il ne compte qu’un seul ministre issu de l’ex RDA.

La réunification occupe-t-elle encore une place importante dans le débat politique allemand ? La question de l’aide financière aux Länder de l’Est (Plan de solidarité) est-elle controversée ?

Oui bien sûr la réunification a été largement évoquée dans le débat politique allemand en 2009, surtout dans le contexte de l’anniversaire de la chute du Mur. Mais ce n’est plus le débat dominant.

L’aide financière à l’Allemagne de l’Est a surtout fait grogner à l’Ouest durant les quinze premières années, au moment où tous les programmes dont le Solidarpakt (prévu pour durer jusqu’en 2019) ont été lancés. Cela représente en effet pour chaque Allemand de l’Ouest un pourcentage non négligeable d’impôts supplémentaires, mais il faut rappeler que cet impôt est également payé par les Allemands de l’Est.

Le total de l’argent transféré de l’Ouest vers l’Est depuis 1990 (estimé à 1 300 milliards d’euros) a permis pour partie de financer les dégâts collatéraux sociaux de l’effondrement de la RDA communiste, dont la situation était en réalité dans un état bien pire que celui qui avait été présenté dans les chiffres officiels. L’autre partie de cet argent a servi à rénover les infrastructures, puisqu’il n’y avait pas de lignes de train modernes, ni d’autoroutes dignes des standards de l’Ouest, ni de moyens de télécommunication modernes,… Aujourd’hui la RDA est à certains égards l’une des régions les plus modernes d’Europe du point de vue de ses infrastructures. Le contraste avec les équipements vieillissants à l’Ouest a d’ailleurs donné lieu à une polémique au moment du 20ème anniversaire de la chute du Mur et suite aux propos d’un député de l’Ouest qui déclarait à peu près : "Après un pacte de solidarité envers l’Est, à quand un pacte de solidarité pour l’Ouest ?" Ces propos reflètent à mon sens assez bien l’état d’esprit d’un certain nombre d’Allemand de l’Ouest aujourd’hui.

Au-delà des polémiques, il faut avant tout souligner que les Allemands, tous ensemble, l’ont fait.

Comment expliquer l’érosion des deux grands partis que sont la CDU (Union-chrétienne-démocrate) et le SPD (parti social-démocrate) depuis ces 20 dernières années ?

Pour plusieurs raisons, l’identité de ces deux grands partis s’est un peu brouillée durant ces dernières années. Jusqu’à la chute du Mur, la CDU incarnait très clairement l’anticommunisme, l’antisocialisme et la Soziale Marktwirtschaft. Depuis l’arrivée d’Angela Merkel à la tête de la CDU, celle-ci a voulu moderniser son parti et le recentrer, ce qui a déstabilisé une partie de l’électorat, notamment le plus conservateur. L’expérience de la grande coalition avec les sociaux-démocrates entre 2005 et 2009, au sein de laquelle les compromis se font nécessairement au centre, a également contribué à ce brouillage d’identité. Enfin, face à la crise financière et au risque de faillites en chaîne de banques allemandes, qui auraient eu des répercussions nationales et internationales désastreuses, Angela Merkel a été obligée d’adopter une position interventionniste. Or les Allemands en général et l’aile libérale de la CDU en particulier, n’aiment pas beaucoup l’interventionnisme d’Etat, ce qui a profité au FDP (Parti libéral-démocrate).

S’agissant du SPD, la politique menée par Gerhard Schröder à partir de 2003, dans le cadre de l’Agenda 2010, a déboussolé la base du parti. Alors que le SPD incarnait jusqu’alors la justice sociale, un certain nombre d’électeurs ne se sont plus reconnus dans la politique du gouvernement Schröder qui, en engageant une réforme de l’Etat providence afin que celui-ci reste viable dans la mondialisation et que l’Allemagne retrouve sa compétitivité dans la mondialisation, a du mettre en place des réformes sociales douloureuses. Une bonne partie de ses propres troupes se sont donc éloignées du parti pour aller grossir les bataillons d’une gauche plus radicale.

Il y a également des tendances de fond qui jouent dans l’érosion de la CDU et du SPD et je dirais qu’il y a ici en fait une normalisation de l’Allemagne, qui restait l’un des seuls pays en Europe où deux grands partis dominaient à ce point la vie politique. Du fait de l’évolution de la société, la fonction intégrative des deux Volksparteien, les deux partis de rassemblement, est devenue moindre. Auparavant la CDU et le SPD liaient en effet à eux de façon très forte certaines catégories bien spécifiques de la population. Or, ce lien s’est distendu du fait de l’évolution de la société, devenue beaucoup plus diverse, avec des catégories qui sont elles-mêmes moins nettement définies. J’ajouterais qu’il y a une plus grande volatilité des électeurs allemands, qui souvent se déterminent juste avant d’aller voter. On compte ainsi aujourd’hui 5 partis durablement installés dans le paysage politique à l’échelle nationale : la CDU, le SPD, qui régressent, le FDP, Die Linke et les Vert, qui profitent de l’érosion des deux "grands partis" et qui atteignent désormais tous trois des scores à deux chiffres.

Après l’échec aux législatives de 2004 puis celui aux Européennes de 2009, à quoi attribuez-vous la défaite historique du SPD lors des élections législatives de septembre 2009 ? Quel est l’avenir de la social-démocratie allemande ?

Le brouillage de l’identité du SPD que j’évoquais précédemment, la montée en puissance d’autres formations concurrentes, l’usure du pouvoir aussi, ont abouti à cette défaite historique du SPD lors des élections de septembre 2009. Il passe de 34,2% des voix en 2005, à 23%. Lors de sa victoire en 1998 le parti réunissait encore i 41% des voix ! Le SPD n’a plus de ligne politique claire. Assume-t-il la politique conduite par Gerhard Schröder ? ou bien se repositionne-t-il plus clairement à gauche ? C’est un débat qui est en cours et qui n’a pas encore été totalement tranché. Le SPD vient de renouveler ses instances dirigeantes lors du congrès qui se tenait à Dresde, mi novembre. Sigmar Gabriel, ancien ministre de l’Environnement au sein de la grande coalition, a ainsi succédé à Franz Müntefering à la présidence du parti. En outre, la décision d’adopter une attitude de franche opposition face au nouveau gouvernement CDU-CSU/FDP d’Angela Merkel, pourrait à présent permettre au SPD de se reconstruire dans l’opposition, après 11 ans au gouvernement dont 5 avec la CDU. En même temps que la question de la ligne politique, celle des alliances n’est pas encore tranchée. L’avenir de la sociale-démocratie allemande reste donc à construire et le débat reste ouvert.

Pouvez-vous revenir sur l’origine de la création du parti Die Linke et sur les forces qui le composent ?

Pour résumer, die Linke est un parti de gauche radicale, issue de la fusion entre les néo-communistes du PDS (Partei des Demokratischen Sozialismus) - refondé sur les cendres du parti communiste de RDA (SED) - et les déçus du SPD à l’Ouest. C’est un parti très hétéroclite du fait des différents courants qui le composent. Vous avez d’un côté, des modérés qui souhaitent pouvoir former bientôt une coalition avec le SPD et les Verts au niveau national, et de l’autre, de farouches adversaires au SPD, notamment d’anciens syndicalistes ouest-allemands ayant quitté le parti social-démocrate suite à la politique du gouvernement Schröder. Vous avez également une ligne politique "dure" autour de la Kommunistische Plattform (KPF), qui vise clairement la révolution communiste. La présence de ce courant a d’ailleurs pour conséquence que Die Linke reste sous la surveillance de l’Office fédéral de protection de la Constitution, un organisme qui vérifie la compatibilité des partis politiques allemands avec les valeurs fondamentales de la République fédérale.

Tandis que des coalitions entre Die Linke et le SPD ont été formées dans certains Länder, cette possibilité a été formellement écartée au niveau fédéral. Quels sont les enjeux de l’alliance entre ces deux partis et quelles oppositions soulève-t-elle ?

Il y a là en effet une vraie contradiction, qui contribue d’ailleurs elle aussi à brouiller l’image de la sociale-démocratie. Le problème réside en grande partie dans le fait que Die Linke compte encore dans ses rangs de nombreuses personnes qui ont contribué à faire fonctionner la dictature en RDA, notamment d’anciens membres de la Stasi (police politique du régime). De nombreux sociaux-démocrates refusent de s’allier avec Die Linke pour cette raison. Cela a été d’ailleurs la ligne suivie par Frank-Walter Steinmeier (candidat SPD à la Chancellerie) dans le cadre des élections fédérales de 2009. L’autre raison est que les positions de Die Linke et du SPD en matière de politique étrangère sont sur certains points totalement incompatibles. Die Linke souhaite par exemple que l’Allemagne sorte de l’OTAN, et c’est également un parti eurosceptique. La possibilité de voir des alliances se former au niveau national entre les deux partis dépendra donc de l’évolution interne de Die Linke, et de l’évolution de son programme.

Il est vrai en revanche que des alliances entre le SPD et Die Linke ont été acceptées au niveau régional, par pragmatisme. Il y a par exemple depuis 2001 dans le Land de Berlin une coalition "rouge-rouge" (SPD/die Linke) qui fonctionne, et qui est souvent présentée comme un exemple. Ce type d’alliance est un peu moins problématique car les questions de politique étrangère n’interviennent pas au niveau régional.

Il faut enfin souligner une évolution essentielle pour comprendre cette question des alliances, qui est l’importante progression de Die Linke dans les Länder de l’Ouest. Ceci est perceptible depuis 2005 et constitue à mon sens un phénomène durable. Aujourd’hui le parti franchit la barre des 5% à presque toutes les élections régionales y compris à l’Ouest, ce qui lui permet d’avoir des représentants dans les parlements régionaux. Au niveau national die Linke est passé de 8,7% en 2005 à près de 12% en 2009 Die Linke rassemble à la fois des déçus de la sociale-démocratie, de la mondialisation et ceux qui se considèrent comme les perdants de la réunification. C’est un vrai problème pour le SPD.

Au cours de cette année 2009, qualifiée en Allemagne de "super année électorale", le Parti libéral-démocrate (FDP) a enregistré performances sur performances avant de s’imposer comme le partenaire de coalition incontournable de la CDU-CSU suite aux législatives de septembre. Quel est l’électorat du FDP ? Dans le contexte de la crise, n’y a-t-il pas un paradoxe dans la progression de ce parti libéral ?

L’électorat du FDP s’est élargi. Le FDP a longtemps été un parti de notables qui avait un électorat limité à la bourgeoisie entrepreneuriale, alors que ses électeurs sont désormais issus de toutes les couches de la population. Depuis que Guido Westerwelle a pris la tête du FDP en 2001, le parti incarne davantage le libéralisme économique que le libéralisme politique, qui lui est classé plus "à gauche". Le FDP se présente aujourd’hui comme le véritable défenseur de la Soziale Marktwirtschaft. Enfin, contrairement à la CDU ou au SPD, le parti libéral a tenu un langage très clair au niveau des alliances, ce qui a certainement joué un rôle important auprès des électeurs déboussolés des deux grands partis.

S’agissant de la deuxième partie de la question, je dirais au contraire que la crise, et plus particulièrement la politique conduite par le gouvernement face à celle-ci, explique la progression du FDP et l’élargissement de son électorat dans le sens où, comme je l’évoquais précédemment, les Allemands sont méfiants vis-à-vis d’un Etat interventionniste. Un Etat qui dépense des milliards signifie avant tout l’accumulation de nouvelles dettes pour l’Etat qui sont aussi de nouvelles dettes pour chaque citoyen. Or, les Allemands sont extrêmement vigilants sur la question de l’endettement, et ce d’autant plus que durant toutes ces dernières années des efforts importants ont été faits pour rétablir les finances publiques. Pour donner un exemple, lorsque l’Etat fédéral a décidé de sauver Opel, les Allemands se sont montrés assez suspicieux, alors même que des milliers d’emplois étaient en jeu. Cette réaction serait inimaginable en France.

Interprétez-vous l’arrêt du Tribunal constitutionnel fédéral sur le traité de Lisbonne comme le signe d’un changement de la politique européenne de l’Allemagne ?

Non, l’arrêt du Tribunal constitutionnel n’est pas selon moi le signe d’un changement de la politique européenne de l’Allemagne. L’arrêt vise à donner un droit de regard plus conséquent au législateur allemand (Bundestag et Bundesrat) sur les textes européens qui impliquent des transferts de souveraineté importants. Ne faut-il pas trouver cela normal ? Je trouve pour ma part cela plutôt sain, car si les peuples constatent que leurs représentants nationaux ont un droit de regard sur l’élaboration de la législation européenne, l’argument visant à dire que l’Europe se fait sans les citoyens tombe à l’eau.

En revanche, il est vrai que la politique européenne de l’Allemagne, tout comme sa politique étrangère, a évolué ces dernières années. L’Allemagne, redevenue pleinement souveraine, défend désormais davantage ses intérêts nationaux, tout en restant bien entendu fermement insérée dans les structures européennes et atlantiques. Il s’agit donc là aussi d’une normalisation.


 

Informations sur Michèle Weinachter
Michèle Weinachter est Maître de conférences à l’Université de Cergy-Pontoise, Chercheur-associé au Centre d’information et de recherche sur l’Allemagne contemporaine (CIRAC). Elle a co-dirigé avec Hans Stark l’ouvrage collectif, L’Allemagne unifiée, 20 ans après la chute du Mur, Septentrion, 2009.

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