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Rencontre du 18-01-2010
Frédéric Oudéa / Xavier Rolet
Président-Directeur général de la Société Générale / Directeur général de la London Stock Exchange

Frédéric Oudéa / Xavier Rolet

Frédéric Oudéa, Président-directeur général de la Société Général et Xavier Rolet, Directeur général de la London Stock Exchange (LSE) étaient les invités du Cercle des Européens, le 18 janvier 2010, à la CCIP. Xavier Rolet a souhaité revenir sur l’adaptation des bourses à l’entrée en vigueur de la directive MiFID avant de décrire la stratégie de la LSE dans ce nouvel environnement concurrentiel.

Si selon Frédéric Oudéa, "les vraies transformations dans le secteur bancaires restent à venir", la liquidité à long terme sera l’enjeu central la nouvelle réglementation. Les deux intervenants ont plaidé pour une harmonisation de la structure réglementaire des chambres de compensation.

Hôte de cette rencontre, Pierre Simon, Président de la CCIP, a évoqué en introduction les incertitudes pesant sur l’année 2010, car si la période de récession a pris fin, le redémarrage économique n’est pas encore suffisant pour enrayer le chômage. L’autre incertitude a trait à la "capacité des gouvernements à maîtriser les déficits publics". Enfin, l’accès au crédit et plus généralement la réforme du système bancaire européen, sont des facteurs décisifs de la relance, a-t-il souligné.

Retraçant les parcours exceptionnels des deux invités d’honneur du Cercle des Européens, Noëlle Lenoir, sa Présidente, a lancé le débat en demandant quelle pouvait être l’analyse faite de la crise financière de part et d’autre de la Manche, et les leçons en tirer pour élaborer le nouveau cadre européen et mondial des marchés financiers.

Une analyse convergente des raisons de la crise

Pour Frédéric Oudéa, PDG de la Société Générale, la crise trouve avant tout son origine dans l’excès d’endettement, dont les subprimes ont constitué l’élément le plus symptomatique, ainsi que l’élément déclencheur de "l’éclatement de la bulle d’endettement". C’est grâce à un taux très élevé d’endettement, dopant la croissance pour les particuliers et les entreprises, que selon Frédéric Oudéa, "les Etats développés ont pensé pouvoir éviter de faire face à la globalisation et à la compétition internationale".

En dépit de l’arrêt de certaines pratiques à risque, le phénomène n’a cependant pas encore disparu. Faisant part de son engagement pour une amélioration décisive de la gestion du risque au sein de son établissement, Frédéric Oudéa a fait valoir que les grandes banques, comme la sienne, continuaient "encore à subir le coût de la crise du crédit", tandis que les plus petites restaient fragilisées du fait des aléas de l’immobilier résidentiel.

Le Directeur général de "London Stock Exchange", Xavier Rolet, a rejoint Frédéric Oudéa dans son analyse des origines de la crise en soulignant "l’abus du levier de la dette". Cette tendance remonte au krach de 1987. La crise immobilière en 1990, la crise mexicaine de 1994, la crise asiatique de 1997, puis russe en 1998, ainsi que l’explosion de la bulle Internet en 2001, en ont été, selon lui, autant de manifestations. Ceci s’est conjugué à "une politique monétaire beaucoup trop accommodante, visant à éviter à tout prix une récession". Dans la ligne de cette analyse, Xavier Rolet s’est demandé si l’accumulation des dettes publiques faisant suite à l’accumulation des dettes privées, ne nous conduisait pas "à nouveau à constituer la bulle des années 2014 - 2016".

Le rôle des marchés règlementés dans la sortie de crise

Afin de remédier à cet endettement excessif et de "réparer les bilans", il convient de lever des capitaux. Dans cette perspective, les bourses de valeurs reprennent de l’importance. Xavier Rolet a rappelé qu’au début des années 2000, ces bourses de valeurs étaient décriées comme obsolètes et incapables de s’adapter au processus de modernisation des marchés financiers. Face à leurs difficultés à gérer leur sortie du monopole et à affronter la pression concurrentielle, elles ne devaient pas survivre. "Or du fait de la période de crise, on s’est rendu compte que ces mécanismes fonctionnaient encore… ". La LSE a ainsi levé 200 milliards de dollars de fonds propres en 2009, que ce soit pour les banques ou les entreprises.

Commentant cette activité de financement, Xavier Rolet a insisté sur la nécessité de faire des PME une cible prioritaire. "Dans le contexte actuel, les PME représentent la seule source de création durable d’emplois et constituent de potentiels leaders technologiques ". Les Etats sont soumis "à de fortes pressions budgétaires", et les grandes entreprises, "à une pression concurrentielle impitoyable". Les PME peuvent plus facilement créer des emplois. Aussi doit-on déplorer le "grave déficit de moyens de financement" à leur disposition, alors que ce financement doit être une priorité économique et politique. La Bourse de Londres a d’ores et déjà réfléchi aux adaptations nécessaires pour faciliter la liquidité et la direction du capital vers les PME. Un marché électronique d’émission d’obligations pour les petites entreprises et orienté vers les investisseurs particuliers a ainsi été récemment créé.

Le rôle des banques dans la sortie de crise

Le PDG de la Société Générale s’est interrogé sur la capacité des différents acteurs du paysage financier et bancaire à financer les économies. Les grandes banques ont "plutôt bien traversé la crise". Les petites banques pourraient quant à elles "davantage souffrir en 2010 qu’en 2009". Du côté des liquidités, on constate la difficile reprise des activités de titrisation, contrastant avec un marché obligataire "extrêmement dynamique", sinon même excessivement. Face à une telle situation de déséquilibre, les grandes banques auront un rôle central à jouer dans l’accompagnement des entreprises et la reprise économique. Mais "tout ne pourra pas reposer sur elles".

Si le secteur bancaire français a mieux résisté à la crise que d’autres en Europe, c’est grâce à "une régulation plus efficace et des pratiques plus raisonnables de la part des acteurs" face au risque.

La liquidité à long terme : enjeu central de la réglementation du système bancaire

Rejoignant le point de vue exprimé par Noëlle Lenoir sur les enjeux des normes prudentielles, le PDG de la Société Générale a reconnu que "les vraies transformations dans le secteur bancaire étaient à venir… car, en ce début 2010, les banques ne savent pas encore dans quelles conditions elles vont exercer leur activité". A la suite du G20 de Pittsburgh (24 et 25 septembre 2009), le Comité de Bâle doit en effet d’ici la fin 2010 fixer de nouvelles exigences en matière de fonds propres et de liquidités. Au niveau européen, la proposition de révision de la Directive "fonds propres" (CRD - Capital Requirement Directive ou "Bâle III") – présentée par la Commission en juillet 2009, sera discutée par le Parlement européen à compter d’avril 2010.

C’est la crise des liquidités qui entraîne la faillite d’une banque. Selon Frédéric Oudéa, l’Europe doit s’inscrire dans "un nécessaire mouvement d’allongement de la maturité des dettes". Il reste que "la liquidité à long terme va être une ressource rare et chère". "L’enjeu critique dans les deux à trois prochaines années des systèmes bancaires et financiers mondiaux sera l’adaptation des acteurs à une nouvelle règle du jeu : le remplacement des ressources courtes par les ressources longues ".

S’agissant de la rémunération des traders et alors que Londres et Paris ont annoncé, le 12 janvier, leur intention de taxer les bonus (cf article de La Tribune), le PDG de la Société Générale a appelé à replacer cette question dans un contexte global, en soulignant les effets de telles mesures sur la concurrence internationale.

Au-delà du sujet des bonus, la concurrence internationale doit "nous inciter à mettre en place un marché européen bancaire puissant", a déclaré Frédéric Oudéa. Une "balkanisation du marché européen" aurait en effet "des conséquences très graves à long terme".

Pour une harmonisation de la structure réglementaire des chambres de compensation

Se plaçant dans le cadre communautaire, le Directeur général de la LSE a appelé de ses vœux une harmonisation de la règlementation des chambres de compensation, qu’il a considérée comme la condition d’ "un marché européen liquide des actifs financiers". Dans le prolongement des engagements du G20, la Commission européenne a lancé en octobre 2009 une série d’initiatives pour renforcer la sécurité et la transparence des marchés de produits dérivés au sein desquelles les chambres de compensation occupent une place centrale. Un projet transmis aux Etats le 18 janvier prévoit notamment un contrôle de la nouvelle Autorité européenne des marchés financiers (nouvelle architecture de supervision proposée par le rapport de Jacques de Larosière) sur les chambres de compensation.

Un tel projet doit nécessairement inclure les Britanniques : "L’Europe de la finance, c’est comme l’Europe de la défense, on ne peut pas la faire sans les Britanniques", lesquels d’ailleurs souhaitent cette intégration. Si l’on compare les différentes règles en vigueur en Europe concernant l’encadrement des chambres de compensation, c’est le modèle continental qui paraît le "plus efficace". Le fait qu’en France, en Italie ou en Allemagne, ces organismes soient contrôlés par les banques centrales assure en effet la transparence nécessaire ainsi que l’accès à des sources de financement. Dans le système britannique, ce contrôle incombe à l’autorité des marchés locale, "qui en cas de problème ne dispose d’aucun capital".

Cette harmonisation répondrait au besoin des banques "d’alléger leur bilan d’un certain nombre de produits, dont les dérivés OTC, qui aujourd’hui les obligent à maintenir des réserves importantes de capital". "Cette mesure est essentielle car en période de croissance, le moyen le plus rapide de mettre du capital entre les mains des entrepreneurs reste le levier sur le bilan des banques".

Dans le même sens, Frédéric Oudéa a souligné l’intérêt des plateformes de compensation pour réduire les risques systémiques. Les "Credit Default Swap" (CDS), "qui sont en réalité des contrats d’assurance sur le risque" se sont multipliés "sans qu’il y ait de zone de centralisation". Or les chambres de compensation, en comprimant les risques, "comprimeraient les besoins en fonds propres des banques". S’agissant du cas particulier des CDS et du risque qu’ils comportent, il est indispensable que la structure du capital des chambres de compensation qui prendraient en charge ce type de produits, soit véritablement solide.

Un partenariat entre les bourses et les banques

Xavier Rolet a souhaité revenir sur l’adaptation des bourses à l’entrée en vigueur en novembre 2007, de la directive sur les marchés d’instruments financiers (MiFID) qui a bouleversé les activités de ce secteur, en mettant fin au monopole de la concentration des ordres sur les bourses. "MiFID a été le résultat direct d’un lobbying intense des intermédiaires pour casser le monopole des bourses qui pratiquaient des conditions tarifaires trop élevées et dont la réglementation n’était pas toujours adaptée". Les bourses ont effectivement eu "du mal à ajuster leur modèle à la sortie de monopole". Elles ont vu leurs parts de marché chuter au profit de plateformes alternatives (Multilateral Trading Facility (MTF)), aux coûts nettement inférieurs et proposant également des marchés – en dehors des marchés officiels - où les investisseurs peuvent échanger anonymement ( "dark pool").

D’où le rachat, en décembre 2009 , par LSE, dans ce nouvel environnement concurrentiel, de Turquoise, la plateforme européenne lancé en 2008 par un ensemble de banques (BNP Paribas, Société générale, Citigroup, Crédit suisse, Deutsche Bank, Goldman Sachs, Merrill Lynch, Morgan Stanley et UBS), dont la Société Générale, pour concurrencer la Bourse de Londres et les autres marchés réglementés. Cette acquisition a ainsi permis la fusion de Turquoise avec le dark pool de la LSE, Baikal.

Ce nouveau type de partenariat, vise selon Xavier Rolet à mettre un terme "à la guerre entre les bourses et les banques", et est avantageux pour chacune des deux parties. D’un côté, les banques concentrent de très fortes capacités en matière de trading, d’innovation financière, d’intermédiation et disposent de vendeurs dans le monde entier, couvrant l’ensemble des investisseurs. D’un autre côté, les bourses proposent une infrastructure et des mécanismes qui permettent aux banques d’échanger leurs risques à une échelle de gros, de façon anonyme, tout en offrant une grande qualité de contrôle et de "reporting". Xavier Rolet a souligné que "l’expertise spécifique de la London Stock Exchange en matière d’intermédiation du risque", la rend légitime pour gérer ce type d’activités.

Réinventer un modèle de croissance et mettre en place la gouvernance financière mondiale

Alors que l’opinion se montre très critique face aux banques, un des participants au débat s’est demandé si la focalisation sur la culpabilité des banques éclairerait véritablement les raisons profondes de la crise, dès lors que les gouvernements avaient leur part de responsabilité dans le développement d’une économie mondiale déséquilibrée.

Les deux intervenants ont convenu que "le secteur bancaire ne constituait qu’une partie des problèmes révélés par la crise" et que d’autres secteurs, notamment dans l’industrie, auraient également des restructurations à opérer. Frédéric Oudéa a souligné que le secteur bancaire avait "servi de transmission à des déséquilibres, en connectant par exemple l’épargne chinoise et l’épargne américaine". "Le sujet majeur est à présent de réinventer un modèle de croissance" en évitant "le déplacement de la bulle d’endettement de la sphère privée à la sphère publique".

Evoquant la faillite de Lehman Brothers – dont il a été le Directeur France - puis celle d’AIG, Xavier Rolet a insisté sur le manque de cohérence du message adressé par les responsables politiques, tantôt de condamnation tendant à laisser sombrer un établissement financier, tantôt au contraire de réhabilitation quand il s’est agi de sauver des établissements en perdition.

Quoiqu’il en soit, la période actuelle appelant à "la remise en cause de la suprématie du modèle régulatoire américain, offre une chance unique à l’Europe". La crise ne peut-elle être conçue comme une opportunité ? Le patron de la LSE a estimé que "l’alignement des intérêts économiques des pays émergents, en particulier des BRIC (Brésil - Russie - Inde – Chine), sur ceux des pays occidentaux de peut-il permettre à terme la mise en place d’une gouvernance financière mondiale ainsi que la résolution des problèmes politiques et géopolitiques ?".


 

Informations sur Frédéric Oudéa / Xavier Rolet
Président-Directeur général de la Société Générale depuis mai 2009 (son mandat va jusqu’en 2015), Frédéric Oudéa entre au sein de la banque en 1995, dans le département Corporate Banking de Londres. De retour au siège parisien il est de 1998 à 2001 Responsable de la Supervision Globale et du Développement du Département Action. Nommé Directeur financier du Groupe en 2002, il devient ensuite Directeur général en 2008. Avant de rejoindre la SG, Frédéric Odéa a occupé différents postes au sein de l’Administration, notamment au Service de l'Inspection Générale des Finances, et a été membre en 1993 du cabinet du Ministre du Budget, Nicolas Sarkozy.

Directeur général de la London Stock Exchange depuis mai 2009, Xavier Rolet était précédemment Directeur exécutif de Lehman Brother en France (2007-2009). Il avait rejoint la banque américaine en 2000 au sein du Département Global Equity Trading, à New-York puis à Londres. Il commence sa carrière en 1983 au sein de Goldman Sachs où il a par la suite dirigé le département Risk and Trading puis Global Equities (en 1997). Xavier Rolet a été sous-lieutenant et instructeur au sein de l’Armée de l’Air française (1981). En 2008, il a été diplômé de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) à Paris.

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