Le Cercle des Européens...
Pour une Europe réunie...
Le soutien purement politique apporté par les 27 à la Grèce lors du Conseil européen extraordinaire du 11 février est-il selon vous à la hauteur des enjeux ?
Comme beaucoup d’observateurs, je dois dire que j’ai été plutôt déçu par les résultats de ce sommet. Compte tenu de la situation, je m’attendais en effet à ce que les chefs d’Etat et de gouvernement proposent un cadre plus précis, avec une méthode et éventuellement des instructions aux ministres des Finances qui se réunissaient quelques jours après au sein de l’Eurogroupe et du Conseil EcoFin.
Le dernier paragraphe du communiqué de presse, publié à l’issue du sommet, stipule que : "Les Etats membres de la zone euro prendront des mesures déterminées et coordonnées, si nécessaire, pour préserver la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble. Le gouvernement grec n’a demandé aucun soutien financier." (cf Déclaration des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE, 11 février 2010) Il s’agit uniquement ici d’un engagement de principe et d’un engagement conditionnel, c’est-à-dire lié à une demande éventuelle de la Grèce ou en cas de grande difficulté de la zone euro. Il n’est pas du tout précisé de quelle manière les Etats apporteraient leur soutien à la Grèce et sans nier les difficultés d’une telle opération, je dirais que dans ce sens là, le résultat n’a pas été à la hauteur des enjeux.
Les formulations extrêmement mesurées du communiqué révèlent avant tout l’absence d’accord politique au sein du Conseil européen. Il y a eu d’importantes divergences sur les modalités d’une intervention des Etats et le compromis très flou qui a été trouvé visait à satisfaire tout le monde.
Ni la réunion de l’Eurogroupe, le 15 février, ni celle du Conseil EcoFin le 16, n’ont d’ailleurs permis d’apporter des éléments de précision. Les Etats membres se sont limités à formuler leurs attentes vis-à-vis de la Grèce, en terme de réduction des déficits (cf communiqué de presse du Conseil).
La question qui se pose à l’Union européenne est de savoir si elle est capable, soit à travers des mécanismes communautaires, soit à travers l’intervention du Fonds monétaire international (FMI), d’aider la Grèce à mettre en œuvre des mesures d’assainissement budgétaire qui risquent d’être fort pénibles à court terme. C’est exactement ce que fait le FMI lorsqu’il accorde un prêt conditionnel. Dans une tribune publiée dans le FT le 1er février, Jean Pisani-Ferry et moi-même avons estimé qu’il n’y avait pas d’autres solutions que celle de faire appel au FMI car l’Union européenne ne dispose pas des instruments adaptés (cf The best course for Greece is to call in the Fund).
Faut-il considérer que le point de vue allemand l’a emporté ?
Pour comprendre le point de vue allemand, on peut se référer à la tribune publiée par Otmar Issing, (ancien membre du Comité exécutif de la Bundesbank et de la BCE - cf cv complet) dans le Financial Times du 15 févier, intitulée : Europe cannot afford to rescue Greece. Selon lui, une intervention au niveau européen constituerait non seulement une violation du Traité mais également une violation du "pacte sacré" ayant conduit à la naissance de l’euro. A ce moment, les Allemands ont accepté de céder ou disons de partager le mark, en échange d’une part d’une stabilité monétaire – garantie par la BCE qui a dans ce sens hérité des atouts et caractéristiques de la Bundesbank – et d’autre part d’une rectitude fiscale, inscrite dans le Pacte de stabilité. Or cette dernière règle n’ayant pas été respectée, une majorité de l’opinion allemande et clairement certains leaders politiques sont défavorables à une intervention de l’Europe. L’idée que l’effort doit être entièrement consenti par la Grèce est en effet une idée largement partagée en Allemagne. La solidarité ne doit pas seulement venir des Etats membres mais surtout de la Grèce qui vis-à-vis de ses partenaires, doit rectifier ses erreurs pour ne pas mettre en péril la zone euro. Les hésitations et prises de position d’Angela Merkel doivent donc avant tout être analysées à la lumière de ce contexte national.
L’explosion des déficits ne concerne pas uniquement la Grèce, ni même l’Espagne ou le Portugal. Quel jugement portez-vous sur l’endettement des pays de l’eurozone ?
Il y a deux questions : l’endettement de l’eurozone avant et après la crise. Il y avait en effet déjà avant la crise un certain nombre de difficultés liées à l’endettement croissant des pays. Vous le savez bien en France puisque cette question est au centre du débat politique depuis un moment. Vous remarquerez toutefois que celle-ci n’a jamais été abordée du point de vue des risques pour la solidité de la zone euro mais uniquement du point de vue national, comme une hypothèque pour le futur de la France. Ce débat a été le même dans d’autres pays comme la Belgique ou même l’Allemagne, où les déficits étaient considérés comme une limite au déploiement de politiques de croissance. En effet deux défis majeurs se posaient déjà aux pays européens avant la crise : d’un côté la globalisation, qui signifie toute une série de restructurations et qui nécessite la mise en œuvre d’une politique économique différente, et d’un autre côté le vieillissement de la population avec le choc que cela représente sur les finances publiques. Bien que liés à ces enjeux fondamentaux, le problème récurrent et difficile des déficits n’était pas perçu comme urgent, ce qui explique en partie l’absence de réelles mesures ou du moins la remise à demain des mesures difficiles.
La crise a accru des déficits qui même en l’absence de politique de relance - qui je pense étaient nécessaires - se seraient creusés, étant donné que la cause principale de l’augmentation des déficits est la baisse des recettes. Celle-ci a été d’autant plus importante dans des pays comme l’Espagne et l’Irlande où la croissance récente et les recettes fiscales étaient fortement liées à l’immobilier. Contrairement à la France ces pays avaient heureusement un taux d’endettement relativement faible, aux alentours de 40%. En deux ans il a été doublé.
L’augmentation de la dette dans cette période de crise, doit être considérée par rapport aux deux principaux défis de long terme auxquels nous sommes confrontés, à savoir comme je le disais précédemment, la globalisation et le vieillissement de la population. J’ajouterais également le problème du changement climatique qui requiert lui aussi toute une série de mesures économiques. Or, l’endettement élevé limite notre capacité d’action face à ces changements. Le risque actuel serait d’entrer dans un cercle vicieux de dette élevée et de croissance faible. C’est pourquoi il faut gérer rapidement l’endettement afin de récupérer une marge de manœuvre nous permettant de faire face à ces défis.
Les "marchés" - une notion parfaitement anonyme – joueraient la sortie de la Grèce de l’eurozone. Ne pensez-vous pas que ces commentaires alarmistes sont une manœuvre des spéculateurs pour tirer profit de la situation actuelle ?
Il ne faut pas confondre la cause et les effets. Il y a bien entendu de la spéculation. L’activité des spéculateurs sur les marchés est d’ailleurs visible tous les jours. Je n’utiliserais pas en revanche le terme de "manœuvre des spéculateurs". La spéculation résulte selon moi de deux facteurs : d’une part de la situation grecque et de la difficulté du gouvernement à mettre en place un plan précis et crédible pour redresser le pays, d’autre part du manque de clarté quant à la façon dont les partenaires européens vont gérer le problème grec. Jusqu’au 16 mars, date à laquelle le Conseil a demandé à la Grèce de présenter un rapport sur la mise en œuvre des mesures budgétaires pour l’année 2010, et à moins de nouvelles annonces entre temps, on peut donc s’attendre à ce que la spéculation continue.
Dans ce contexte, quels risques pèsent sur la monnaie unique ?
Je voudrais tout d’abord rappeler qu’au pire de la crise économique et financière en 2008-2009, la zone euro a su faire preuve de capacité d’action et de réaction, et cela en dépit d’un manque de cadre institutionnel très clair et après une période de fortes incertitudes et de flottements. Notons que la BCE avait quant à elle déjà réagi à partir d’août 2007 en injectant des liquidités dans le système financiers. En octobre 2008, la perception de l’urgence était toutefois beaucoup plus grande qu’aujourd’hui puisque la nécessité du sauvetage du système financier était une question d’heures ou de jours.
Le 16 février, les ministres des Finances ont fixé à la Grèce l’échéance du 16 mars, qui me semble raisonnable. Il s’agit là d’une avancée par rapport à la déception qu’avait pu susciter la réunion des chefs d’Etats et de gouvernement du 11 février. La question reste toutefois entière : sera-t-on en mesure d’apporter une réponse européenne à la crise grecque ? Le principal risque de la situation actuelle serait que le problème grec devienne un problème de la zone euro, c’est-à-dire qu’il soit source de désaccord politique entre les pays membres ou plus précisément entre l’Allemagne et ses partenaires. Le risque est par conséquent beaucoup plus politique, qu’économique.
La question d’un "gouvernement économique de l’UE" était au centre des discussions du Sommet du 11 février. Quels sont les enjeux et sur quoi portent les divergences entre Français et Allemands sur ce sujet ?
La crise financière puis la crise grecque ont bien entendu fait ressurgir cette question de la gouvernance économique de l’Union et de la zone euro et il s’agira de savoir quelles leçons nous en tirons. Mais la gouvernance économique n’est ni pour demain, ni pour le 16 mars, ni pour le Conseil européen du mois de juin. Nous avons en revanche aujourd’hui des décisions concrètes à prendre.
Avant la mise en place de l’euro, certains estimaient que l’union monétaire ne pouvait pas précéder l’union politique. Mais à présent que nous avons adopté l’euro et dans les conditions actuelles ce discours me semble dangereux. Dire que l’union politique est absolument nécessaire à l’union monétaire revient en quelque sorte à condamner l’union monétaire à ne pas pouvoir fonctionner. Cette union politique est bien entendu souhaitable, mais elle ne doit pas apparaître comme la condition sine qua none du fonctionnement de l’union monétaire. Comme dit Tommaso Padoa-Schioppa : "l’euro est une monnaie sans Etat". Il s’agit de la principale faiblesse de la monnaie unique, mais il nous faut palier à cela par d’autres mécanismes.
Pour revenir sur les divergences entre la France et l’Allemagne, il est vrai qu’il a toujours eu du côté allemand la crainte que la gouvernance économique signifie que l’Allemagne va payer pour les erreurs des autres. Il faudra bien à un moment ou à un autre que les pays membres de la zone euro tirent les conséquences de leur appartenance à cette zone monétaire en termes de leurs politiques économiques nationales. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas.
L’Allemagne semble privilégier une gouvernance économique à 27, plutôt que limitée aux seuls membres de la zone euro. Pourquoi ?
Il est difficile de parler au nom de l’Allemagne ou d’Angela Merkel, mais je pense que l’une des raisons réside dans le fait que la frontière entre ce qui relève de la seule responsabilité des pays de la zone euro ou de l’ensemble des pays membres de l’Union n’est pas clairement définie. Dans beaucoup de domaines les instruments de décisions se situent au niveau de l’UE à 27. Les décisions de l’Eurogroupe sont d’ailleurs ensuite avalisées par le Conseil EcoFin. Même si le traité Lisbonne prévoit la possibilité de prendre des décisions au sein de la zone euro sans devoir en référer au Conseil, la frontière restera floue.
L’autre raison plus politique concerne à mon avis une certaine réticence de l’Allemagne à l’idée de voir le centre de décision de l’Eurogroupe se déplacer du niveau ministériel au niveau des chefs d’Etat, comme cela a pu être le cas en octobre 2008, sous l’initiative de Nicolas Sarkozy. D’une part cette instance tout à fait informelle risquerait d’entrainer un glissement vers plus d’intergouvernemental, d’autre part cette prééminence du chef d’Etat, si elle correspond au système politique français où le président dispose de vastes pouvoirs, ne correspond pas du tout au modèle fédéral allemand où le chancelier est relativement plus démuni.
Dans votre rapport de 2004, vous mettiez en évidence les raisons des contre-performances de l’UE en matière de croissance. Votre constat a-t-il changé ? Et quelles sont ces raisons ?
Le constat reste à mon sens valable. Notre rapport de 2003 identifiait trois facteurs de mutation aux quel l’UE doit faire face : le changement technologique, la globalisation - avec le processus de rattrapage des pays émergents – et le vieillissement de la population. La stratégie de Lisbonne (élaborée en 2000) était censée répondre à l’ensemble de ces défis, mais n’a abouti qu’à des résultats très limités du fait de l’absence d’instruments efficace de mise en œuvre au niveau communautaire. Notre rapport ne remettait pas en cause les objectifs de la stratégie mais proposait une méthode et des instruments, dont le budget européen, pour y parvenir.
Notre rapport analysait la croissance faible de l’UE comme le symptôme d’un problème qui est celui de la difficulté à régénérer l’économie européenne, c’est-à-dire à conduire des restructurations et à créer une nouvelle stratégie industrielle. Dans les années 80 on parlait de "l’euro-sclérose". Les travaux conduits par Nicolas Veron (chercheur à Bruegel) démontrent par exemple que parmi les grandes entreprises mondiales beaucoup sont européennes mais très peu sont de nouvelles entreprises. L’Union européenne ne parvient pas à renouveler son potentiel industriel ni à créer de nouveaux champions européens. Au moment de la révolution des nouvelles technologies de l’information, les entreprises européennes se sont par exemple mal placées et nous n’avons pas aujourd’hui de Microsoft ou de Yahoo européen. Un autre problème concerne le manque d’attractivité de l’Europe comme localisation pour la recherche et la production.
Vous plaidez pour l’intervention du FMI en Grèce, mais que pensez-vous de l’idée de mettre en place un Fonds monétaire européen semblable au FMI ?
Le point positif est que cela donnerait à l’Union l’instrument qu’elle ne possède pas aujourd’hui pour intervenir au sein de la zone euro. Le traité donne la possibilité à l’UE d’intervenir dans les autres pays de l’Union, à travers un fonds d’ajustement à la balance des paiements, doté aujourd’hui de 50 milliards d’euros. C’est ce fonds qui a été mobilisé pour la Hongrie, la Lettonie ou la Roumanie, conjointement avec l’aide du FMI. Ce fonds ne peut pas être mobilisé pour les pays membres de la zone euro, mais peut tout à fait être assimilé à un Fonds Monétaire Européen.
L’idée d’un tel fonds qui pourrait être mobilisé sous certaines conditions, à la fois pour les pays membres de la zone euro et les autres est une bonne idée, mais cela nécessiterait forcement un changement de traité qui prendrait bien sûr trop de temps pour solutionner les problèmes urgents auxquels la Grèce est confrontée.
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