Le Cercle des Européens...
Pour une Europe réunie...
Entre la Hongrie ou la Lettonie contraints à faire appel à l’aide du FMI et la Pologne qui est le seul pays de l’UE à afficher un taux de croissance positif en 2009, quel bilan peut-on dresser de l’impact de la crise dans les pays d’Europe centrale et orientale ?
Il est en effet important de ne pas généraliser et de ne pas traiter les nouveaux membres de l’UE comme un "bloc de l’Est", qui serait touché de façon uniforme par la crise du système financier et économique. Il faut rappeler que ces pays ne sont pas à l’origine de la crise mais qu’ils subissent une crise venue de l’Occident. Ils n’ont pas fait de folie dans le domaine financier, ni ne se sont lancés dans le marché des subprimes, mais leurs systèmes bancaires subissent pourtant les répercussions de la crise.
Il y a d’un côté un groupe de pays qui bien qu’ayant subi le contre coups de la crise, se portent relativement bien. Parmi ceux qui résistent le mieux, il y a la Pologne qui est le seul pays parmi les nouveaux membres mais aussi de toute l’Union européenne à ne pas avoir connu la récession en 2009. Le pays affiche en effet un taux de croissance aux alentours de 1,7%. Les Polonais sont d’ailleurs assez irrités par le discours parfois catastrophiste à propos de la situation économique à l’Est. La République tchèque ou la Slovaquie résistent également bien. Ils subissent la baisse de la demande en Europe occidentale dans certains secteurs mais pour prendre l’exemple de l’industrie automobile qui est très importante dans ces deux pays, la production est repartie suite aux politiques de relance de la demande avec notamment la prime à la casse. Les usines Skoda affichent ainsi leurs meilleurs résultats.
Il y a un second groupe de pays qui lui est très durement touché. Cela concerne essentiellement les pays baltes et la Hongrie. Avant la crise, les pays baltes faisaient pourtant figure de modèle. Ils se considéraient comme "les nouveaux tigres" et étaient souvent vantés pour leur libéralisme, leur efficacité et leur modernité. La Lettonie et l’Estonie ont été les plus durement frappés par l’éclatement de la bulle du crédit, créé artificiellement par une très grande facilité d’accès aux prêts, accordée notamment par les banques suédoises. Ces prêts étant libellés en euro, la dévaluation de la monnaie locale a causé d’importants défauts de remboursement ce qui a nécessité des plans de renflouement. Dans le cas de la Lettonie, le sauvetage a été réalisé sous l’égide du FMI (conjointement avec l’UE) dont l’intervention a été vivement encouragée par l’Union européenne pour assainir la situation. Cette situation contraste évidemment avec les fortes réticences des Européens à voir le FMI intervenir en Grèce.
En quoi "la crise annonce-t-elle la fin du cycle libéral en Europe centrale", comme vous avez pu l’écrire ?
Les pays d’Europe centrale ont tous adoptés dans les années 90 des réformes économiques assez audacieuses, inspirées du modèle libéral. L’idée était que pour passer à l’économie de marché après le système étatiste socialiste, il fallait aller vite, privatiser, introduire de la souplesse dans le marché du travail, fixer des taux d’imposition faibles et de manière générale, créer des conditions attractives pour les capitaux de l’Ouest. Ces investissements ont tout d’abord afflués vers la Hongrie, la République tchèque ou la Pologne pour ensuite s’étendre à l’ensemble des autres pays d’Europe centrale et aux pays baltes, à mesure qui se précisait la perspective d’adhésion à l’Union européenne. Ceci a été un facteur tout à fait décisif et il y a une très forte corrélation entre perspective européenne et investissements. Si vous prenez le cas de la Roumanie ou de la Bulgarie, les investissements qui étaient pratiquement nuls dans les années 90 ont connu une hausse spectaculaire à partir de l’an 2000, après que le sommet d’Helsinki de décembre 1999 ait donné le feu vert à l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’UE.
Pour proposer des conditions intéressantes aux investisseurs et jouer l’avantage comparatif, les Etats n’avaient dans un sens pas d’autres choix que d’adopter des recettes libérales. Il y a également un facteur idéologique indéniable, né de leur propre expérience. L’échec du dirigisme économique, qui a provoqué l’effondrement du système communiste, a renforcé l’attrait vis-à-vis du modèle libéral. Il existe une conviction forte qu’une économie moins assujettie aux contraintes de l’Etat est plus performante. Le cycle libéral à l’Est a en effet donné de très bons résultats puisque la croissance de ces pays a été durant près d’une décennie, deux ou trois fois supérieure à celle de l’Europe occidentale. Contrairement à la France où le terme "libéral" à une connotation très négative, les pays d’Europe centrale notent que dans ‘libéralisme’ il y a ‘liberté’ dont ils ont été privés pendant près d’un demi siècle et ne craignent pas la mondialisation libérale, synonyme d’ouverture.
La crise cependant remet en cause le dogme libéral dans le sens où les deux piliers de ce modèle, à savoir les Etats-Unis et le Royaume-Uni sont les pays par lesquels la crise est arrivée et où l’intervention de l’Etat pour sauver le système bancaire a été la plus massive. Rappelons que la première banque à avoir été nationalisée en 2007 a été la Northern Rock en Angleterre, par le grand libéral Gordon Brown. Le modèle libéral est aujourd’hui en crise et il y a une tentative (à travers notamment les réunions du G20) de rectifier le tir en introduisant davantage de régulation du marché et par l’intervention de la puissance publique.
Les pays d’Europe centrale qui se référaient le plus à ce modèle libéral, sont donc aujourd’hui plus disposés à écouter ceux qui représentaient un modèle qui jusqu’alors été jugé dépassé, à savoir un "modèle rhénan" pour reprendre le terme de Michel Albert.
Cela signifie-t-il pour autant que les gouvernements de ces pays seraient prêts à introduire davantage d’intervention d’Etat, de régulation ou de contraintes sociales ?
Cela restera à voir, mais leur posture va en tous cas évoluer et la capacité à évoluer sera certainement proportionnelle aux difficultés rencontrées. La Hongrie sera certainement plus disposée à introduire davantage de régulation pour se protéger de phénomènes de marché. Dans le cas de la Pologne qui n’a pas été touchée par la crise ou très peu, il n’est pas surprenant d’entendre l’ancien Gouverneur de la Banque centrale, M. Balcerowicz, dire que ce n’est pas le système qui est en cause, mais les mauvais choix politiques.
Il y a eu une première remise en cause du modèle libéral en Europe centrale qui s’est manifestée par une poussée des populismes. Je pense notamment aux frères Kaczynski (PiS) en Pologne, lors des élections présidentielles et législatives de 2005 ou à la Slovaquie de M. Fico (Depuis les élections de juin 2006 en Slovaquie, le gouvernement de Robert Fico (SMER) repose sur une coalition avec le Parti national slovaque (SNS) et le parti de l’ancien Premier ministre nationaliste V.Meciar. Une coalition qui pourrait être reconduite après les élections de juin 2010). Ces partis ont mis en avant le fait que la politique menée pour s’adapter au marché européen a certes crée des gagnants mais aussi beaucoup de perdants. La crise économique à prolongé ce discours et il existe aujourd’hui un débat plus ouvert sur la question de fond en Europe, à savoir : quel type d’économie de marché voulons-nous ?
Quelles conséquences peut avoir la crise grecque sur le processus d’adhésion à l’euro des pays d’Europe centrale et orientale ?
Je pense que cette crise aura pour effet premier de retarder les échéances. D’un côté les candidats seront moins pressés de rejoindre une monnaie en difficulté et de l’autre les pays membres de la zone euro seront dorénavant très regardant avant d’admettre de nouveaux membres, compte tenu de la grande opération d’assainissement qu’ils sont en train de mener. On peut de ce point de vue considérer que la Slovénie et la Slovaquie ont eu de la chance d’entrer dans la zone euro avant la crise, soit au 1er janvier 2007. Les pays de la zone euro vont être d’autant plus rigoureux vis-à-vis des pays de l’Est qu’ils ont été laxistes vis-à-vis des pays du Sud.
La première phase de la crise économique et financière qui n’était pas une crise de l’euro, a renforcé l’attrait de l’euro qui avait bien résisté. La zone euro faisait alors figure de havre de stabilité monétaire. Dans cette phase là, les eurosceptiques et les opposants les plus virulents à l’adhésion à l’euro, comme les frères Kaczynski ou le Président Klaus en République tchèque, se faisaient beaucoup moins entendre. La question était de savoir dans quel délais les pays seraient en mesure de remplir les critères pour adopter la monnaie unique.
Même si la crise suscite beaucoup d’inquiétudes et de nouveaux obstacles, je ne pense pas que l’orientation générale des gouvernements change. Je rappelle que l’adoption de l’euro est une obligation inscrite dans les traités d’adhésion des pays d’Europe centrale et orientale à l’UE.
Entre la France qui a fortement appuyé une aide financière à la Grèce et une Allemagne plutôt réticente, quel regard portent les pays d’Europe centrale et orientale sur ces divisons au sein de la zone euro ?
La posture française qui consiste à mettre en avant la notion de solidarité au sein de la zone euro pour pousser en faveur d’un plan d’aide à la Grèce signifie en fin de compte que c’est l’Allemagne qui va payer. Or l’Allemagne refuse de payer pour le laxisme des autres, ce qui est une idée plutôt partagée par les nouveaux Etats membres. Lors d’un débat télévisé avec DSK à Varsovie pour France 24 et la télévision polonaise, l’ancienne présidente de Lettonie, Vike-Freiberga, s’est dite stupéfaite d’entendre critiquer un pays européen parce qu’il réussissait bien dans la compétition internationale. J’ai été étonné par certains commentaires de la presse française visant à stigmatiser l’"égoïsme allemand". Peut-on considérer que l’Allemagne est égoïste lorsqu’elle elle ne veut pas payer pour des pays qui ont accumulé des déficits massifs durant des années et qui ont menti en truquant leurs comptes ? L’attitude de la Grèce qui fait l’objet de très peu de critiques en France est en tous cas considéré du point de vu tchèque - que je connais bien - comme quelque chose d’absolument choquant.
Il est certes impératif de sauver l’euro et de sauver la Grèce mais l’idée qu’un pays endetté comme la France, soit obligé d’emprunter pour ensuite prêter à la Grèce constitue une façon d’aborder les questions économiques qui passe mal en Europe centrale. Pour ces pays, l’euro ne doit pas être un prétexte au laxisme monétaire. C’est pourquoi le discours allemand qui est plus rigoureux et plus méfiant vis-à-vis des pays dits du "Cub Med" est plutôt partagé en Europe centrale. La crise actuelle est pour les futurs candidats à l’euro une véritable leçon de choses : ils découvrent que le partage de la monnaie n’est pas qu’un outil d’échanges, mais un partage de souveraineté et donc d’un projet politique.
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