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Après la démission de Gordon Brown, le Labour n’a-t-il pas manqué une opportunité historique de former un gouvernement de coalition avec les libéraux-démocrates ? A quoi attribuez vous l’échec des négociations ?
Une telle coalition aurait tout d’abord été arithmétiquement très difficile. C’est une des raisons pour lesquelles un certain nombre d’esprits raisonnables au sein du parti travailliste ont préféré jeter l’éponge. Si l’on ajoute les sièges des travaillistes à ceux des libéraux-démocrates, on obtient tout juste un peu plus que les conservateurs à eux seuls. Pour avoir véritablement une majorité de gouvernement, il aurait fallut des voix d’appoint, ce qui signifiait l’ouverture des négociations avec les nationalistes et avec tous les petits partis. Dans un pays où la pratique des coalitions n’existe pas cela devenait très compliqué. Cela aurait de plus impliqué d’énormes concessions aux nationalistes, ce à quoi un certain nombre de travaillistes n’étaient pas prêts du tout.
Pour des raisons stratégiques, il était ensuite préférable pour les travaillistes qui sortaient de treize années de gouvernement, de passer dans l’opposition. Cela fournit l’opportunité de reconstruire le parti et le projet New Labour qui à l’occasion de cette élection ont semblé véritablement épuisés. Cet argument a eu d’autant plus de poids que la potion pour résoudre la crise économique s’annonce tellement difficile qu’elle risque de rendre le gouvernement qui conduira cette politique extrêmement impopulaire. On peut donc s’attendre à une alternance rapide, contrairement aux cycles précédents. Il faut en effet rappeler qu’on se trouve dans une phase exceptionnelle de la vie politique britannique où il y a eu d’abord un gouvernement conservateur de 18 ans puis un gouvernement travailliste de 13 ans. Auparavant, les alternances étaient beaucoup plus rapides. Le Labour avait gouverné au mieux un peu plus d’un mandat plein et n’avait par exemple jamais obtenu trois mandats consécutifs .
En présentant sa démission Gordon Brown, qui était très impopulaire, a certes levé un obstacle à la formation d’une telle coalition. Mais son départ rendait aussi les choses encore plus compliquées puisqu’il aurait fallut organiser des élections internes pour désigner son successeur, alors même qu’il était urgent de former un gouvernement. Il y avait donc beaucoup de paramètres qui rendaient la formation d’une coalition avec les libéraux-démocrates très compliquée.
Les progressistes – c’est-à-dire la gauche au sens large – voient avec beaucoup de chagrin l’arrivée des conservateurs et considèrent que les libéraux-démocrates ont trahis une sorte d’entente tacite. Compte tenu de la dérive vers le centre droit du Labour, les libéraux-démocrates se sont retrouvés en effet presque plus à gauche sur certains thèmes. Or, ce positionnement a soulevé un immense espoir de la part des progressistes de voir se former une alliance Lib-Lab (libéraux-démocrates – Labour). Les libéraux-démocrates ont véritablement vocation à être un parti intermédiaire. Si sur certains thèmes ils sont plus proches des travaillistes, ils le sont des conservateurs sur d’autres thèmes. C’est pourquoi ils ont réussi à s’entendre avec les conservateurs dans le cadre de la coalition. Il ne faut pas perdre de vue que pour David Cameron, cette coalition lui fournit l’opportunité de se recentrer. La dérive droitière du parti conservateur explique en effet qu’il ait été dans l’opposition durant les 13 dernières années.
Le Labour a subit sa plus sévère défaite électorale depuis 1931 et perd 94 sièges à la Chambre des Communes. Comment expliquer ce revers ?
Il faut tout d’abord relativiser ce revers car le résultat aurait pu être bien pire. Certaines enquêtes sur les intentions de vote avant le scrutin laissaient en effet penser que le parti travailliste allait connaitre une véritable une déroute. Les travaillistes sortaient de 13 années de pouvoir, les réformes menées n’étaient pas très populaires et ils avaient un leader qui battait des records d’impopularité. La crise financière et économique a ensuite beaucoup pesé. Même si la gestion de Gordon Brown a été saluée, le gouvernement a en partie été tenu responsable de l’ampleur de la crise en Grande-Bretagne. La campagne du Labour a souffert de l’intérêt excessif des médias pour les personnalités aux dépens des projets. Or, le manque de charisme de Gordon Brown et son impopularité ont constitué de lourds handicaps.
Deux facteurs peuvent expliquer pourquoi les travaillistes n’ont pas subi la déroute attendue. Le taux de participation n’a pas été trop mauvais (65%), ce qui peut indiquer une mobilisation des classes populaires qui ont davantage tendance à voter à gauche. Les électeurs ont ensuite certainement eu un reflexe de peur face aux arguments des travaillistes et des conservateurs mettant en avant l’incertitude et les risques que représenterait un gouvernement de coalition.
Par rapport aux élections précédentes, les travaillistes ont perdu les voix de la classe moyenne aspirante, pour qui le Labour s’était reconverti, et qui est repartie vers les conservateurs ou les lib-dem. Il y a eu également une érosion du soutien des classes ouvrières qualifiées et plus généralement des classes populaires, chez qui on a pu noter dans les enquêtes post-électorales, une grande une envie de changement. Dans la perspective d’une éventuelle réforme du mode scrutin, le parti travailliste devra réfléchir aux moyens de reconquérir son électorat de base.
Dans le cadre de l’accord de coalition, les libéraux-démocrates ont obtenu l’organisation d’un référendum sur la réforme du système électoral. Quelle est la position du Labour sur ce sujet ?
Le parti travailliste est divisé sur la question de la réforme du système électoral. Il y a d’un côté ceux qui considèrent que le mode de scrutin les a servis et ne veulent pas en changer. C’est en effet grâce au scrutin majoritaire uninominal à un tour et au découpage des circonscriptions que malgré un fort déclin en terme de voix, les travaillistes ne s’en sortent pas si mal en nombre de sièges. Jusque dans les années 80, le découpage des circonscriptions jouait en faveur des conservateurs, ce qui expliquent qu’ils prônent aujourd’hui un simple redécoupage plutôt qu’une réforme d’ampleur.
Il y a d’un autre côté une fraction du parti travailliste qui se montre ouverte à une telle réforme car elle pourrait créer les conditions favorables à une coalition progressiste, empêchant ainsi le retour au pouvoir des conservateurs. En 1997, les travaillistes s’étaient rapprochés des libéraux-démocrate en s’engageant à réfléchir à une réforme. Une Commission a fait des propositions sans suite car fort de leur majorité écrasante, trop de travaillistes y étaient hostiles. En 2010, ils ont proposé le vote alternatif - qui n’est toujours pas proportionnel mais ouvre la porte d’une évolution. Les conservateurs ont aujourd’hui accepté de soumettre ce système à référendum.
Les travailliste seront certainement encore très divisés lors du prochain référendum car il reste un nombre important de hiérarques travaillistes opposés à cette réforme.
Quel bilan dressez vous des trois années de Gordon Brown à la tête du gouvernement ?
On ne peut pas dresser le bilan de Gordon Brown sans parler de la crise car celle-ci a remis en questions les règles d’or qu’il avait précédemment établies en tant que Chancelier de l’Echiquier (le ministre des Finances britannique, poste occupé par Gordon Brown de 1997 à 2007 au sein du gouvernement de Tony Blair). Sa gestion de la crise a dans ce sens démontré une certaine flexibilité. Il a su utiliser au maximum les atouts offerts par l’Etat, à savoir le déficit et l’endettement, pour sauver le système bancaire.
Pour comprendre les trois années de Gordon Brown, il faut ensuite se replacer dans la continuité des années Blair. Au cours des 13 années de gouvernement New Labour, il n’y a eu que très peu d’infléchissement. Le gouvernement de Gordon Brown s’inscrit globalement dans la lignée d’un gouvernement néo-travailliste qui combine un peu de social-démocratie, soit l’idée qu’il faut intervenir dans la société pour répondre à certains déséquilibres, avec une large acceptation de la supériorité du marché dans tous les domaines et des positions « illibérales » dans certains domaines notamment en terme de sécurité.
Plus généralement, que restera-t-il des 13 années de gouvernement New Labour ?
En arrivant au pouvoir, les néo-travaillistes ont accepté l’héritage thatchérien. Ils ont poursuivi le mouvement d’élargissement des mécanismes du marché à tous les domaines de la société. Durant les premières années, ils ont également tenu à conserver la même politique budgétaire afin de rassurer les milieux économiques et ceux de la City. Il y a eu une conversion des travaillistes à l’idée que le marché et la compétition constituent les moyens les plus efficaces pour piloter la société.
La plus grande transformation introduite par les néo-travaillistes réside dans l’instauration d’un modèle d’incitation et de sanction, étendu à tous les niveaux de la société et reposant sur une conception de l’individu rationnel. Incitant les individus à maximiser leur intérêt et à mieux se conduire, ce système récompense ceux qui atteignent les objectifs fixés par l’Etat et sanctionnent ceux qui font les mauvais choix. Ce pilotage de la Nation permet à l’Etat de pratiquer un interventionnisme à distance, en définissant les objectifs et les indicateurs de rétribution ou de sanction. On a par exemple donné plus d’autonomie aux hôpitaux qui obtenaient des résultats satisfaisants sur certains objectifs chiffrés, dont la réduction des files d’attente. La mise en place de ce système s’est accompagnée d’une culture de l’audit qui a pénétré toute la société et transformé les mentalités ; aussi bien dans les services publics que dans les autres secteurs.
Il s’agit à la fois d’un modèle de société où la réussite est encouragée et considérée de manière très positive et d’un modèle très dur où ceux qui font les mauvais choix et qui ne réussissent pas sont sanctionnés. Cela ne signifie pas pour autant, comme on a pu le dire, qu’il y ait eu un fort accroissement des inégalités sociales sous les gouvernements néo-travaillistes. Celles-ci se sont certes accrues en terme de patrimoine mais ont légèrement été réduites en terme de revenus. Même si la politique des néo-travaillistes n’a pas été centrée sur le soutien aux classes les plus défavorisées, il y a eu des réformes sociales importantes comme l’instauration d’un salaire minimum. Les travaillistes ont également obtenu des résultats satisfaisants en matière de réduction de la pauvreté des enfants.
Les néo-travaillistes ont avant tout souhaité se démarquer de l’ancien parti travailliste, considéré comme le parti des exclus et des personnes en échec. Le New Labour incarne, par opposition, le parti de ceux qui aspirent à réussir.
On oppose souvent Tony Blair et Gordon Brown pour leur style très différent. Peut on également mettre en avant des différences d’ordre politique ?
Il y a en effet des différences manifestes du point de vue du style entre les deux leaders travaillistes. Dès le premier discours de Gordon Brown en tant que Premier ministre on a pu constater que le style serait radicalement différent. Autant Tony Blair est charismatique, autant Gordon Brown est l’antithèse du charisme. Tony Blair a un fort attrait pour la réussite, notamment éconmique et un aspect un peu "people", alors que Gordon Brown est à l’opposé de cela. La différence sera de ce point de vue encore plus flagrante dans l’après pouvoir. Tony Blair fait à présent une carrière internationale en tant que "discoureur" et se fait payer extrêmement cher pour chaque intervention. Il est également supposé être l’envoyé spécial du Quartet au Moyen-Orient. Gordon Brown restera quant à lui sans doute un "backbencher", investi dans sa circonscription. Il continuera à défendre les déshérités en poursuivant un objectif de transformation et de justice sociale, ce qui constitue sur le fond, la différence la plus notable avec Tony Blair.
Cette fin de règne des travaillistes va-t-elle déboucher sur une remise eu cause des fondements idéologiques du New Labour ?
On peut en effet déjà lire dans la presse des articles sur la fin du New Labour. Je dirais que le parti aurait tout intérêt à rediscuter de son projet qui aujourd’hui soulève une immense lassitude au sein de la société britannique. Le modèle d’un Etat interventionniste qui distribue sanctions et récompenses et qui délègue énormément, a un coût considérable et a abouti à une inflation managérial, notamment au sein du National Health system – où les managers sont plus nombreux que les infirmières –, de l’école ou des universités. A l’heure des réductions des dépenses publiques, cette réflexion sera incontournable. Il y a également un risque d’érosion de l’esprit du service public alors même que celui-ci est au cœur de l’adhésion au parti travailliste. Ce sont plus généralement les questions de la société de marché et des libertés publiques qui sont posées et qui devront donc mener à une réflexion de fond sur meilleure manière de piloter la société.
Je dirais enfin que la capacité de rénovation du New Labour sera sans doute en partie liée à la question de la réforme du mode de scrutin. Si elle n’aboutit pas et que le système actuel est conservé, les élections continueront à se gagner auprès des classes moyennes et dans la petite centaine de circonscriptions susceptibles de changer de main. Le Labour aurait alors tout intérêt à continuer à se positionner au centre. S’il y a un véritable besoin de réfléchir au projet du Labour, un repositionnement plus à gauche et un retour au vieux parti travailliste, en tant que parti des classes défavorisées, semble exclu.
Hormis deux candidats de la gauche dont Diane Abbot, première élue travailliste issue des minorités en 1997, les candidats actuels à la succession de Gordon Brown ont d’ailleurs fait partie du projet New Labour et ont œuvré à la mise en œuvre des réformes évoquées précédemment. Il n’y a pas de grandes différences politiques mais davantage des sensibilités différentes entre les candidats. Vous avez d’un côté David Miliband, ancien Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, qui est un blairiste et fait figure de favori. Son jeune frère Ed Miliban, lui aussi ministre de Gordon Brown (à l’environnement), est jugé plus charismatique et se positionne plus à gauche du parti que son frère. Ed Balls est quant à lui un proche de Gordon Brown (ancien Secrétaire d’Etat à l’Enfance, à l’Éducation et à la Famille et ancien conseiller économique). Il incarne également l’aile gauche du parti. On peut penser que la candidature des deux Eds (Miliband et Balls) donnera lieu à une division de la gauche du parti qui profiterait dès lors à David Miliband. La date butoir pour l’élection du nouveau leader du parti est fixée à la conférence de l’automne, la dernière semaine de septembre.
Cette élection qui pour la première fois depuis 1974 a débouché sur un Parlement sans majorité ("Hung Parliament") marque-t-elle la fin du bipartisme ou plutôt une forme rejet de la classe politique ?
Cette élection ne marque pas la fin du bipartisme mais tout dépendra par la suite de la réforme du mode de scrutin et de la réussite ou non de l’alliance entre conservateurs et libéraux-démocrates. Sans réforme du mode scrutin, il y a peu de chance pour que le bipartisme soit remis en cause. La période qui s’ouvre va être cruciale pour l’avenir du parti libéral-démocrate. Si la réforme du mode de scrutin échoue et que ces derniers ne parviennent pas à suffisamment infléchir la politique des conservateurs, ils seront considérés comme des traitres par leurs électeurs et perdront des voix à gauche, ce qui leur ferait perdre le rôle pivot qu’ils jouent cette année.
Ce qui est frappant dans cette élection c’est qu’il y a eu trois perdants. Même si les libéraux-démocrates obtiennent un bon score (23%, soit seulement 1% de plus qu’en 2005), cela reste assez décevant par rapport à l’enthousiasme soulevé par la "Cleggmania". Les travaillistes ont subi quant à eux leur plus lourde défaite depuis 1931 et les conservateurs qui pouvaient s’attendre à un raz-de-marée n’obtiennent pas la majorité. Il y a en effet un rejet de la classe politique, qui n’a pas été endigué par les néotravaillistes, bien au contraire, et qui se traduit notamment par un déclin de la participation électorale. Supérieure à 70% jusqu’en 1997, elle s’est effondrée à 59,4% en 2001 puis a été de seulement 61% en 200. La participation au scrutin de 2010 s’élève à 65%, ce qui pour une élection de cette importance reste faible. Ce rejet se traduit également par un déclin de l’adhésion aux grands partis politiques.
En 1997, les travaillistes avaient été élus sur le thème de la réforme de la vie politique. Ils ont ensuite introduit une réforme du financement de la vie politique mais qui n’a pas empêché des scandales comme celui des notes de frais d’avoir lieu. Il y a au sein de l’opinion publique une forte aspiration au changement. Cela explique d’ailleurs en partie l’intérêt suscité par le parti libéral-démocrate et une certaine demande pour une réforme du mode de scrutin. La compétition au centre et sur des thèmes de bonnes gestions des affaires publiques a transformé les deux grands partis en équipes managériales dont les programmes sont certes différents mais que le grand public peine à véritablement différencier. Compte tenu de la désaffection croissante à l’égard du système politique, on ne peut qu’espérer pour la vie politique britannique une réforme du mode de scrutin. L’argument visant à dire que le système actuel empêche les extrêmes d’être représentés à la Chambre ne suffit plus. Il faut rappeler qu’en 2005 les travaillistes avaient été élus avec 35% des suffrages exprimés, soit 25% des votants, ce qui nuit considérablement à la légitimité du système.
Pour conclure sur une note positive, je soulignerais malgré tout que les Britanniques se désintéressent pas de la politique et que la vie civile reste extraordinairement dynamique, un phénomène que les Conservateurs ont utilisé dans leur projet de "Big Society" qui promet de rendre le pouvoir aux citoyens en contrepartie d’une réduction de l’investissement de l’Etat. La campagne référendaire à venir et les réformes politiques négociées par les lib-dem seront suivies de près.
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