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Entretien du 07-03-2011
Carol Sirou
Présidente de Standard & Poors France

Certaines propositions de la Commission menacent l’indépendance du processus de notation

 Comment réagissez-vous aux critiques adressées aux agences de notation, tenues en partie pour responsables tout d’abord de la crise financière de l’été 2008 en raison de leur imprévision, puis de la crise de la dette du printemps 2010 du fait de la dégradation brutale des notes de pays comme la Grèce, le Portugal ou l’Espagne ?

En premier lieu, j’aimerais rappeler quel est le rôle de la notation. On entend beaucoup de choses sur les agences, qui reflètent souvent une méconnaissance de ce métier. C’est d’ailleurs compréhensible, car il s’agit d’un outil technique conçu pour des investisseurs avisés. La notation est l’évaluation, en termes relatifs, du risque de non-remboursement dans le futur d’une dette existante. Elle est donc une mesure du seul risque de crédit, pas du risque de liquidité ou de volatilité. Elle n’est pas non plus une recommandation d’investissement.

Concernant la crise financière de 2007-2008, nous sommes parfaitement conscients de l’évolution inhabituelle des notations de titres liés aux crédits immobiliers subprime aux USA. Ce constat nous a d’ailleurs amenés à entreprendre des réformes internes depuis maintenant 3 ans. Notamment, nous avons revu et clarifié nos méthodologies et les hypothèses sous-jacentes de nos modèles, y compris dans les secteurs dont les performances ont été conformes aux attentes, afin de prendre en compte les enseignements de la crise concernant la liquidité, ou le soutien de l’Etat, par exemple. Nous avons également renforcé le rôle des fonctions de qualité et de contrôle, qui sont distinctes des fonctions analytiques.

Cela étant, avec ce recul de 3 ans de crise, il est également indéniable que le bilan du reste de nos notations est solide. La probabilité de non-remboursement d’une dette reste d’autant plus faible et plus lointaine que sa note est élevée. Les défauts d’emprunts notés sont bien plus fréquents en catégorie dite "Spéculative" qu’en catégorie "Investissement". Pour la catégorie Investissement, le taux de défaillance moyen au bout de 5 ans est de 1,24 %, contre 17,90 % pour la catégorie spéculative. A 10 ans, les taux sont de 2,80 % et 25,96 % respectivement.

Pour ce qui est de la zone euro, nos abaissements de notes du printemps 2010 ont effectivement soulevé moult commentaires. Certains ont estimé que nous avions agi trop tôt, trop tard ou trop fort, mais d’autres ont considéré que nous remplissions notre rôle d’information vis-à-vis des investisseurs obligataires. De fait, nous sommes un fournisseur indépendant d’analyse sur le risque de crédit, et nous devons diffuser notre opinion sans délai, sans crainte et sans favoritisme dès lors que nous disposons des éléments pour le faire. Libre ensuite aux investisseurs de tenir compte ou non de cette opinion.

Or, jusqu’en 2009, la perception des investisseurs était que, en zone euro, le risque de crédit des Etats était de "AAA" pour tous. Nous n’étions pas de cet avis et l’évolution de nos notes, elle, indique que la de qualité de crédit entre les pays membres de la zone euro diverge dès 2004. Entre 2004 et 2009, nous avons abaissé deux fois la note du Portugal et trois fois celle de la Grèce, sans que cela n’ait d’effet sur les marchés.

Des responsables politiques (dont Michel Barnier, Jean-Claude Juncker et Angela Merkel) proposent la création d’une agence de notation européenne concurrençant les trois grandes agences actuelles (Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch). Qu’en pensez-vous ?

Nous sommes favorables à la concurrence et à l’émergence de nouveaux acteurs. Pour rappel, il existe selon le FMI environ 70 agences de notation dans le monde. La notation est un métier complexe et créer une agence capable de comparer un très grand nombre d’émetteurs dans des secteurs très variés et sur une échelle mondiale nécessite des investissements lourds sur le long terme. Outre les moyens nécessaires, le succès dépend in fine de la reconnaissance par les investisseurs de la fiabilité de l’opinion fournie par l’agence.

Le succès d’une agence spécialisée dans la notation des obligations souveraines via un financement étatique ou un mandat public, comme alternative au modèle économique des grandes agences de notation, dépendra donc de la capacité de ce nouvel acteur à convaincre les utilisateurs des notes de son expertise technique, de son objectivité et de son indépendance. Il est important de garder à l’esprit que tout modèle économique présente des risques de conflits d’intérêt ; il s’agit donc plutôt de les identifier et de les gérer, quel que soit le modèle, plutôt que d’en imposer un a priori, comme le suggère la Commission européenne.

Les nouvelles règles européennes (adoptées en avril 2009, sous l’impulsion du député européen Jean-Paul Gauzès) visant à mieux encadrer les activités des agences de notation sont entrées en vigueur en décembre 2009. Comment avez-vous accueilli cette réglementation et cela a-t-il modifié vos pratiques ?

Nous étions déjà réglementés aux Etats-Unis et en Australie, maintenant en Europe et au Japon. Suite au premier règlement européen sur les agences de notations (CRA1), nous avons mis en œuvre les moyens techniques et de contrôle nécessaires pour exercer notre activité en conformité avec la réglementation. Cela a impliqué de nombreux changements, dont les plus visibles de l’extérieur sont sans doute la rotation des équipes d’analystes tous les 4 ans, l’identification des notations de titres structurés par le suffixe "SF" ainsi que le délai de 12 heures laissé à l’émetteur pour revoir le communiqué de presse avant publication.

Soulignons que, si nos autres règles et procédures internes sont globalement identiques à travers le monde, nous n’avons pas souhaité étendre ce délai de 12 heures aux notations attribuées en dehors d’Europe, car cela présente des risques non-négligeables en termes de diffusion de rumeurs et de délit d’initié.

Quel est votre point de vue sur la modification de ce règlement plaçant les agences de notation sous la surveillance du superviseur paneuropéen, l’ESMA (European Securities and Markets Authority), qui aura le pouvoir d’infliger des amendes ?

La seconde phase de la réglementation (CRA2) transfère les compétences de surveillance des agences à un superviseur européen. Nous accueillons favorablement cette évolution car aujourd’hui, nous sommes régis par trois régulateurs nationaux, car S&P a trois entités juridiques en Europe (et 6 bureaux dans l’Union européenne au total).

Nous sommes également favorables aux projets visant à retirer la référence aux notations dans les règlementations financières, notamment Bâle 3 et Solvabilité 2. L’utilisation de la notation comme référence unique et automatique nous donne un rôle systémique, ce que nous n’avons jamais souhaité, alors que nos analyses sont une source d’information parmi d’autres.

Nous sommes plus inquiets de certaines dispositions de la consultation de la Commission dite "CRA3" [ndlr : consultation lancée en novembre 2010] peuvent avoir des conséquences indésirables, voire susceptibles d’aller à l’encontre des intentions mêmes du législateur. Envisager que la modification des notations des Etats ne soit pas rendue publique pendant plus de 3 jours - voire fasse l’objet d’un feu vert du gouvernement concerné ! - menace l’indépendance du processus de notation et démultiplie les risques de délits d’initiés. Cela induirait en outre une discrimination injustifiée de traitement entre les titres souverains et les autres.

En ce qui concerne la responsabilité civile des agences, le concept de "notation erronée" mis en avant dans la consultation de la Commission "CRA3" nous paraît également particulièrement discutable et laisse la porte ouverte à de nombreuses interprétations. Il crée une confusion sur la portée de la notation, car il occulte le fait que l’estimation d’un risque futur se fonde nécessairement sur les éléments disponibles ou prévisibles au moment de l’analyse. Par nature, les prévisions ne se réalisent pas toujours, alors même qu’elles sont faites de bonne foi et de la manière la plus consciencieuse, que ce soit par une agence de notation ou par tout autre acteur du marché. On peut douter qu’un régime de responsabilité fondé sur un tel concept encourage effectivement le développement de la concurrence dans le secteur de la notation. Il risquerait même de décourager l’évaluation des émetteurs les plus risqués par les agences existantes.

De manière plus générale, la réglementation européenne actuelle est en place depuis septembre 2010 seulement. Nous pensons qu’il faut se donner le temps du recul, afin d’être en mesure d’évaluer ses effets, et non la modifier continuellement.

Quelles sont les différences entre les mesures d’encadrement des agences de notation adoptées en juillet dernier aux Etats-Unis et la nouvelle régulation européenne ?

S’il existe des différences liées à des dispositions spécifiques à l’organisation des marchés aux Etats-Unis (Reg FD), il existe de nombreux points de convergence.

Les deux approches visent à réduire la dépendance à l’égard des notations et notamment à éliminer les références règlementaires aux notations. Ce sont des initiatives que nous soutenons, car il est important qu’investisseurs et émetteurs ne se voient pas imposer tel ou tel instrument d’analyse mais puissent choisir celui qui leur est le plus utile. La loi Dodd Franck s’interroge également sur le modèle économique des agences et vise à augmenter la concurrence dans le secteur, sujets qui sont aussi évoqués dans la consultation récente CRA3.

En revanche les approches divergent sensiblement sur le sujet de la responsabilité civile des agences. En particulier, contrairement à la consultation européenne, la législation américaine ne s’appuie pas sur le concept de "notation erronée".

En pleine crise de la dette souveraine, comment voyez-vous l’avenir de la zone euro ? Et comment interpréter les attaques dont la monnaie unique fait l’objet dans une certaine presse financière internationale ?

Pour la zone euro, nous prévoyons une reprise à trois vitesses.

Un premier groupe de pays, menés par l’Allemagne, la Hollande, l’Autriche et la Finlande devrait maintenir une croissance supérieure à 2 % en 2011/12. La demande intérieure allemande, stimulée par les ménages, et une reprise de l’investissement des entreprises devraient se substituer au commerce extérieur cette année.

Un second groupe, comprenant la France, la Belgique, l’Italie, devrait avoir une croissance positive, entre 1 et 2 %, proche de la moyenne de l’eurozone mais inférieure à leur croissance potentielle, du fait en particulier de la relative faiblesse de leur commerce extérieur et d’une reprise molle de l’investissement.

Enfin, un dernier groupe, comprenant les économies les plus exposées (Espagne, Portugal, Grèce, Irlande) resterait en quasi-récession en 2011 du fait des coupes budgétaires engagées par l’Etat et d’un manque de relais de croissance à l’extérieur. Facteur également aggravant, la crise immobilière, qui dans le cas de l’Espagne et de l’Irlande est loin d’être achevée.

Dans ces conditions, marquées par de fortes divergences en termes de performance entre les Etats-membres de l’Union monétaire, il n’est pas entièrement surprenant que l’euro soit victime de pressions, voire d’attaques spéculatives, même si a notre avis, l’hypothèse d’un éclatement de la zone euro reste à écarter, ne serait ce que parce que quitter l’eurozone aurait un coût exorbitant pour les éventuels candidats.


 

Informations sur Carol Sirou
Présidente de Standard & Poor’s Credit Market Services France, Carol Sirou est en charge des opérations de l’activité de notation pour la zone francophone ( France, Belgique, Suisse, Luxembourg, Afrique francophone). Carol Sirou est également Présidente de McGraw-Hill Companies France depuis août 2010. Elle a rejoint Standard & Poor’s en 1990 en tant qu’analyste crédit et est devenue en 2000 responsable de la notation de l’ensemble des collectivités européennes. En 2005, elle a pris la direction du groupe des notations souveraines et du secteur public pour l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient.

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