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Entretien du 10-03-2011
Pierre Bernard-Reymond
Ancien Ministre

Le couple franco-allemand ne doit pas donner l’impression d’exercer un directoire européen

 Vous êtes l’auteur (avec Richard Young) d’un rapport sur la gouvernance économique européenne. Quels sont les principaux enseignements de la crise de la zone euro et quelles sont vos recommandations ?

Lors de la création de l’euro, les deux points essentiels qui ont été bien traités – sous l’influence de l’Allemagne qui avait beaucoup de mal à abandonner le Mark - furent l’indépendance de la Banque Centrale et la lutte contre l’inflation. La préoccupation de la dette et des équilibres budgétaires devait normalement trouver une réponse dans le pacte de stabilité, mais tous les pays n’ont pas joué le jeu, soit en fournissant des chiffres erronés, soit en demandant et obtenant des assouplissements. Enfin un secteur a été complètement négligé, c’est la nécessaire surveillance et convergence des compétitivités. Ce diagnostic guide les réformes à accomplir. S’agissant des déficits budgétaires, le respect du pacte de stabilité par une surveillance mutuelle dans le cadre du "semestre européen" est une bonne formule. J’approuve également l’inscription dans les constitutions de l’objectif des équilibres budgétaires. Mais il faut surtout trouver un accord sur le fonds européen de stabilité financière ainsi que sur le pacte de compétitivité, sans oublier le rôle du Parlement européen dans ces nouvelles procédures.

Comment, eu égard à vos recommandations, jugez-vous les propositions de "gouvernement économique" émises en marge du Conseil européen par la Chancelière allemande, Angela Merkel, sous le terme de "pacte de convergence et de compétitivité ?

Angela Merkel, après des hésitations et des réticences, a clairement choisi la défense de l’euro et la poursuite de la construction européenne ; elle a compris que même si les Allemands, les plus vertueux des Européens sur le plan économique, devaient être les premiers contributeurs au sauvetage des pays en difficulté, l’Europe était l’avenir de l’Allemagne. Il faut toutefois prendre garde à deux dérives : le couple franco-allemand ne doit pas donner l’impression d’exercer un directoire européen, il faut veiller à mieux associer nos partenaires dès le début des réflexions. D’autre part, il faut s’interroger sur le rythme auquel ce pacte doit être mis en œuvre, vouloir par exemple imposer tout de suite à l’Irlande une révision de sa politique fiscale et à la Belgique qui n’a toujours pas de gouvernement, la désindexation des salaires, ne paraît pas réaliste.

Est-il bon de vouloir reproduire au niveau européen les recettes qui ont permis à l’Allemagne d’accroitre sa compétitivité ?

La réussite économique allemande s’exprime notamment à travers les résultats de son commerce extérieur ; or ce succès est dû avant tout au niveau de la consommation de ses partenaires européens bien avant les exportations vers les marchés chinois ou indien. Si les Européens restreignent leurs importations, l’Allemagne en souffrira.

Au demeurant, je ne crois pas que l’on puisse calquer la réussite d’un pays sur un autre car les structures économiques des Etats membres sont très différentes.

Ce qui est en revanche certain, c’est que nous avons des enseignements à tirer de l’expérience allemande. Ils ont su faire les choix nécessaires pour redresser leur compétitivité, tout en absorbant l’économie est-allemande, et se sont montrés beaucoup plus responsables que nous en matière budgétaire. L’Allemagne sera ainsi très probablement capable de respecter les critères de Maastricht dès 2011. En France, cela nous prendra encore plusieurs années et nous ne sommes pas les seuls dans ce cas ; il suffirait que les taux d’intérêt remontent sensiblement pour que nous rencontrions de graves difficultés et que la solidité de l’euro soit mise en cause.

Alors que certains estiment que l’architecture institutionnelle post-Lisbonne est devenue plus complexe et moins lisible, ne pensez-vous pas que la création d’un poste de "Haut représentant à l’Economie" viendra accroître la difficulté de répartir les rôles entre les responsables européens ?

La Gouvernance européenne est effectivement d’une très grande complexité. Il est clair aujourd’hui que l’exécutif décisionnel est au sein du Conseil européen, mais la Commission ne doit pas devenir un simple secrétariat général, elle doit prouver qu’elle est capable de rester un pouvoir de proposition important. Dans le même temps, le Président du Conseil ne peut se désintéresser de cette tâche. Comment, d’autre part, gérer les trois cercles : couple franco-allemand ; Eurogroupe ; les 27 ? Quel peut être le rôle "du Haut représentant aux affaires internationales" ? Quel profil doivent avoir ces responsables ?

Tout cela est complexe et même incompréhensible vu de l’extérieur ou vu par le citoyen européen. Néanmoins, l’Europe avance, surtout grâce aux crises ! La construction Européenne ne peut être que complexe et pragmatique. Un jour viendra la simplification, avec toujours comme mot d’ordre : "unir sans asservir, harmoniser sans unifier". Le Haut représentant à l’économie aurait pour tâche de veiller scrupuleusement sur les évolutions des différents pays, de promouvoir une plus grande intégration de certaines politiques, de jouer un rôle d’alerte vis-à-vis du Conseil et de la Commission et de représenter l’Union dans certaines négociations internationales. Je partage cette conviction avec Michel Barnier et plusieurs parlementaires européens.

On reproche à la Commission européenne d’avoir manqué ces dernières années de leadership et d’initiative politique, alors que son rôle historique est de faire des propositions ? Ce reproche est-il justifié ?

Oui en partie. Longtemps on a cru que le pouvoir exécutif européen allait sortir de la Commission ; c’était parfaitement utopique. Dans tous les états, les exécutifs se sont renforcés et personnalisés ; on ne peut imaginer que les chefs d’Etats et de Gouvernements ne transposent pas cette forme de pouvoir au niveau européen ; il faut toutefois qu’ils se gardent d’en rester en tous points à l’intergouvernemental. Quant à la Commission, elle doit se recentrer sur le cœur de son métier : proposition et contrôle et surtout prouver son utilité par sa réactivité, ainsi que la qualité et la pertinence de ses propositions.

Le "couple franco-allemand" est-il toujours aussi utile et légitime à tenter d’entraîner les autres Etats vers une intégration renforcée de l’Europe ?

Oui, le couple franco-allemand est indispensable et incontournable. Il fait bien souvent ce que la Commission ou les autres états ne font pas. Mais ce couple doit être conscient des réactions qu’il peut provoquer chez nos partenaires. Il faut améliorer la concertation avec la Commission et avec les autres Etats. Mais, si le couple franco-allemand n’existait pas, il faudrait l’inventer.

Si vous deviez citer un domaine dans lequel il est impératif d’approfondir l’intégration, quel serait-il ?

De nos jours, dans une économie mondialisée au sein de laquelle émergent des nations-continents, aucun Etat européen n’a la taille suffisante pour s’en sortir seul. Il faut donc pousser l’intégration des politiques en faisant bien comprendre que cette intégration donnera plus de résultats que la somme des résultats de chacun. Je pense en particulier qu’en matière de recherche, de biotechnologies, de communications, de transports, d’énergie ou d’espace, nous aurions grand intérêt à intégrer davantage nos politiques. Il faut également s’interroger sur l’élargissement du rôle de la BCE, sur l’importance du budget européen et sur l’avenir de ses ressources propres.

Peut-on se contenter d’un budget européen qui ne représente que 1% du PIB ? L’argument selon lequel le budget européen ne peut pas augmenter dès lors que les Etats sont en pleine période de restriction budgétaire n’est pas convaincant, car il ne s’agit pas d’une augmentation nette du budget, mais d’un transfert de ressources et de responsabilités du niveau national au niveau communautaire. Deuxièmement : faut-il un emprunt européen ? Et enfin, comment assurer l’alimentation autonome du budget européen par des ressources propres. Ce serait selon moi le premier progrès à accomplir.

Vous avez été le premier Secrétaire d’Etat aux Affaires européennes de la France en 1978. Si au moment de sa création, cette fonction ne faisait pas l’unanimité, a-t-elle aujourd’hui acquis l’importance qu’elle mérite au sein de la structure gouvernementale ?

Oui je crois que plus personne ne conteste la légitimité et la nécessité d’une responsabilité de niveau ministériel pour gérer les questions Européennes. Si, comme je l’espère, l’Europe poursuit sa construction et son intégration, je pense que du point de vue de la structure gouvernementale, on pourrait imaginer plus tard que ces matières ne soient plus sous la coupe du Ministère des Affaires étrangères, mais gérées par un Vice-premier ministre ayant autorité sur les ministères très impliqués dans les affaires européennes.

La participation aux élections européennes ne de cesse baisser, les populismes aux accents anti-européens prospèrent où que ce soit en Europe. En outre, depuis l’échec des référendums de 2005, les peuples ont perdu leur enthousiasme vis-à-vis du projet européen. Cette évolution vous inquiète-t-elle et comment pensez-vous qu’elle puisse être enrayée ?

Effectivement, nous notons une désaffection réelle des citoyens vis-à-vis de l’Europe qui va de l’hostilité des populistes à l’indifférence du plus grand nombre, en passant par le ressentiment de beaucoup. Les crises économiques successives que nous avons dû affronter n’y sont pas pour rien. Nos concitoyens attendaient de l’Europe qu’elle les aide à développer leur niveau de vie et qu’elle les protège en période de crise. Or ils ont l’impression, au contraire, que l’Europe a été le cheval de Troie du libre échange et de la mondialisation.

La libéralisation des échanges s’est faite trop vite, elle a mis en contact des économies qui ne vivaient pas le même stade de leur développement, cela a provoqué des chocs économiques et sociaux très violents. Il faut revoir le rythme de la libéralisation des échanges, différencier ce dernier en fonction de la situation de chaque continent, prendre en compte le respect des normes environnementales et sociales. Les économistes et les hommes politiques s’interrogent beaucoup sur les objectifs, mais pas assez sur le rythme optimal que l’on doit respecter pour les atteindre.

Quel est le sens du projet européen aujourd’hui ?

Nous sommes dans un monde complètement différent de celui qu’ont connu les pères fondateurs ; la mondialisation pose un problème existentiel à l’Europe, si elle n’accélère pas sa construction, elle sortira de l’histoire. Mais les objectifs fondamentaux n’ont pas changé : la paix, la démocratie, la liberté, la prospérité, la justice, le respect de la personne, bref une civilisation qui met l’homme au cœur de toute politique. On voit bien que ces valeurs sont universelles, mais qu’elles sont fragiles, toujours menacées, l’Europe doit montrer le chemin sans rien imposer, par la seule valeur de l’exemple.


 

Informations sur Pierre Bernard-Reymond
Sénateur des Hautes-Alpes depuis 2007, Pierre Bernard-Reymond est Vice-président de la Commission des Affaires européennes et Co-président du groupe de travail sur la crise de l’euro et la gouvernance économique européenne. En 1978, Pierre Bernard-Reymond a été le premier à occuper le poste de Secrétaire d’État chargé des questions européennes, créé par le Président Giscard d’Estaing (jusqu’en 1981). Il avait été au préalable Ministre délégué à l’Économie et aux Finances, chargé du budget (1977-1978). Pierre Bernard-Reymond a été élu Députée européen à trois reprises, siégeant au Parlement de 1984 à 1986 puis de 1989 à 1999.

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