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Depuis 2016 et l’élection de Donald Trump et la victoire du « oui » au Brexit, l’Union Européenne a adopté une stratégie globale pour faire face au désordre mondial. Les accords de libre-échange en constituent l’un des axes principaux.

Pour maximiser la croissance économique du continent par le développement des échanges, la construction européenne a été marquée par l’abolition progressive des frontières et le dépassement du cadre national. Le libre-échange est ainsi la clé de voûte des réalisations majeures de l’organisation régionale, à l’instar du marché unique.

L’Europe a également fait du libre-échange la pierre angulaire de sa politique extérieure. En effet, la baisse des tarifs douaniers est considérée comme un moyen efficace pour établir des relations de voisinage, s’imposer comme un acteur global et défendre ses intérêts économiques. Les accords multifibres de 1974 entre pays développés et en développement sont un exemple de cette politique. Ils consistaient en des tarifs douaniers faibles, avec contingentement, dans le domaine du textile.

Les années 2010 marquent la naissance d’une nouvelle génération d’accords commerciaux. Ces derniers doivent faciliter l’accès aux marchés des biens en supprimant les droits de douane sur la majorité des échanges : l’accord avec le Mercosur prévoit ainsi de supprimer plus de 90% des taxes sur les produits échangés entre les deux blocs. Et ces accords de libre-échange s’étendent également aux services, avec la suppression des autorisations
d’accès ou d’exercice, et aux marchés publics (avec le CETA, 30% des marchés publics au Canada sont ouverts aux entreprises européennes contre 10% auparavant). Ils visent également à favoriser la coopération réglementaire (reconnaissance mutuelle des réglementations) et à protéger les investissements directs (via des tribunaux arbitraux privés). Entré en application en 2011, l’accord commercial signé avec la Corée du Sud fut le premier du genre.

Ces accords de commerce ont été placés au cœur de la stratégie globale européenne défendue par Federica Mogherini, la Haute Représentante pour l’Union Européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Alors que depuis 2016, le néoprotectionnisme et la guerre commerciale sino-américaine fragilisent le libre-échange, l’Union Européenne ,cherche à s’imposer comme le point de référence du commerce mondial en nouant de nouveaux partenariats avec des pays lointains. Pour le Vietnam, la signature d’un tel accord commercial, qui éliminera à terme 99% des droits de douane sur les biens échangés avec
l’Europe, lui permet de trouver un troisième interlocuteur et de moins dépendre de la Chine et des Etats-Unis.

L’année 2019 a ainsi vu l’entrée en vigueur du JEPTA, accord de libre-échange avec le Japon. 2019 voit aussi la mise en application des accords de libre-échange avec le Vietnam et Singapour tandis que les négociations avec le Mexique et le Chili sont sur le point d’aboutir.

L’accord avec le Mercosur est le plus symbolique après vingt ans de tractations. Et cette dynamique se poursuit : des discussions sont en cours avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Tunisie.

Les avantages de ces accords sont présentés comme nombreux. L’ouverture de nouveaux marchés dope les exportations européennes : ces dernières ont augmenté de 7% en direction du Canada un an après l’adoption du CETA (de 6,6% pour la France seule) et le déficit commercial avec la Corée du Sud s’est transformé en excédent commercial. Ces accords apparaissent bénéfiques pour les entreprises européennes qui économiseraient jusqu’à 4 milliards d’euros de droit de douane avec l’accord avec le Mercosur. Ils le sont également pour l’emploi : avec le CETA, le nombre d’emplois créés par les investissements canadiens en France a augmenté de 154% entre 2016 et 2018. Ils permettent enfin à l’Europe de devenir « une puissance normative » (Zaki Laïdi) en imposant ses règles sur le plan international comme le respect des indications géographiques protégées (143 d’entre elles sont reconnues par le Canada, 357 le seront par le Mercosur), des droits de l’Homme ou d’accords internationaux (les accords de Paris par exemple).

Cependant, les accords de libre-échange sont décriés sur la scène publique. Certains les accusent de faciliter le contournement des normes européennes : l’utilisation de farines animales pour nourrir le bétail est autorisée au Canada mais interdit en Europe. Avec le CETA, il est bien plus aisé d’importer ce type de viande. De même, un éleveur brésilien peut recourir à des antibiotiques pour soigner ses bovins, ce qui est prohibé en Europe, et l’accord avec le Mercosur ne contient pas l’interdiction de telles pratiques. Certes, un règlement européen prévoit d’étendre l’interdiction aux producteurs étrangers mais il pourrait entrer vigueur après la mise en place de l’accord commercial.

D’autres opposants soulignent l’opacité des négociations et en particulier, dans le cas du CETA, l’instauration des tribunaux arbitraux privés qui autoriserait des entreprises à poursuivre des Etats. La Commission Européenne a modifié le fonctionnement prévu pour ces derniers (création d’une cour sur l’investissement avec des juges canadiens et européens) mais sans convaincre. Surtout, les accords de libre-échange ne semblent favoriser qu’une partie de l’économie européenne qui profite déjà de la mondialisation des échanges : la grande industrie avec l’agroalimentaire, les secteurs pharmaceutiques, aéronautique ou automobile…

Plus encore, ces accords de libre-échange soulèvent des interrogations concernant le climat. S’ils incluent un chapitre sur le développement durable (mais sans réelles contraintes comme le montre l’accord avec le Mercosur), leur éthique environnementale est critiquable.

En effet, l’exportation de marchandises d’un continent à l’autre semble contraire à toute logique de développement durable. Est-il possible d’encourager la consommation de denrées alimentaires qui ont traversé les océans et en même temps de célébrer l’agriculture de
proximité ?

L’Union Européenne avait fait le choix du libre-échange au 20ème siècle pour assurer sa prospérité et garantir la paix sur le continent. Pour faire face aux inégalités croissantes entre secteurs économiques, territoires et classes sociales et pour proposer un modèle de croissance durable, elle doit s’interroger : le « doux commerce » de Montesquieu n’est-il pas un concept dépassé ?

Par Etienne Gautier, European Horizons - HEC Paris

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