Le Cercle des Européens...
Pour une Europe réunie...
Cercle des Européens: Comment a été perçu le dernier sommet européen proposant un nouveau traité ?
S.E.M. Jürgenson: L'Estonie est un pays le plus positif peut-être quant à l'intégration future de l'Union européenne. C'est pourquoi étant aussi dans la zone euro, c'est important d'avancer face aux problèmes que connait actuellement l'Europe. Certains pays sont gérés comme un système pyramidal où on a un besoin d'afflux permanent d'argent, sinon tout s'effondre. Cette proposition de nouveau traité donne la possibilité de résoudre certains problèmes. L'Estonie soutient le changement très fortement et cette rigueur demandée à chaque pays. On ne peut pas continuer comme ça.
Cercle des Européens: Y a-t-il un risque de rupture en Europe avec le refus du Royaume-Uni de suivre sur ce nouveau traité ?
S.E.M. Jürgenson: Nous n'en avons pas peur. Si on regarde la politique de la Grande-Bretagne, cela a toujours été comme ça. C'était "l'exception britannique" comme on dit parfois ici. Naturellement, tout le monde est un peu déçu qu'on ne puisse pas avancer à 27. Je crois que ce n'est pas si terrible que ça car le Royaume-Uni reste un pays important dans l'Union européenne. Ce n'est pas une catastrophe si nous n'avançons pas ensemble sur tous les domaines.
Cercle des Européens: Commet est vécue la crise de l'Euro en Estonie ?
S.E.M. Jürgenson: La crise a été très forte mais ce fut très court parce que les années de chute n'ont concerné seulement que 2008 et 2009. En 2010, nous avions déjà de la croissance et en 2011, c'est presque 8%. C'est peut-être la raison pour laquelle aux élections ce printemps, le gouvernement a été réélu. Tout le monde a pensé que c'est lui qui nous a sorti de cette crise, oubliant que c'est dans ce même mandat que nous y étions entrés...
Si on regarde la politique économique en Estonie, on peut dire que la rigueur financière est comme une religion depuis les années 90. C'est pourquoi la crise en Estonie était si courte. Quand nous avons plongé dans la crise, nous avions 10% de notre PIB dans les réserves car nous avions épargné durant les années de croissance. C'est pourquoi nous n'avons d'ailleurs pas eu besoin de l'aide du FMI ou de l'Union européenne.
Cela a été vraiment difficile d'entrer dans la zone euro pour nous. Nous remplissions presque tous les critères sauf celui de l'inflation. Nous avons profité de la crise pour faire naturellement dégonfler l'inflation. C'est pourquoi en étant dans la zone Euro, on a eu plus de confiance des investisseurs étrangers. La population a compris qu'avec l'euro, la crise était plus facile à surmonter que si nous avions gardé notre couronne.
Cercle des Européens: Pourquoi l'austérité est-elle une valeur aussi positive en Estonie ?
S.E.M. Jürgenson: Il y a plusieurs facteurs. D'abord, la rigueur est comme une religion chez nous. C'est comme la neutralité en Finlande et en Autriche mais pour nous, c'est la rigueur financière et économique. Deuxièmement, nous sommes luthériens. Dans cette religion, il y a une responsabilité quand on est au commande d'agir comme pour soi-même. Dans un budget de famille, si on a pas d'argent, on ne peut pas acheter un poste de télévision. Pour le gouvernement, cela fonctionne pareil: s'il n'y a plus d'argent, il faut un plan d'austérité. Troisièmement, on se souvient très bien des difficultés de vie. C'est plus difficile dans les pays de l'Europe de l'Ouest habitués à un certain niveau de vie. En Estonie, on a diminué les salaires de 10% (le mien aussi), mais on a compris que c'était mieux que le chômage. Avec près de 20%, c'était la première fois que nous avions un chômage aussi haut. Cela a diminué très vite avec moins de 10% aujourd'hui. On a constaté que cette austérité payait. C'est pour cela qu'il y a eu un tel soutien pour le plan d'austérité du gouvernement.
Cercle des Européens: Avec l'arrivée de l'Euro, 2011 a été marquée en Estonie par le titre de capitale européenne de la culture pour Tallin...
S.E.M. Jürgenson: Dans notre ambassade, la troisième chose la plus importante était le festival culturel Estonie Tonique en Île de France. On a lié les deux évènements. C'était la plus grande "invasion" de la culture estonienne dans le monde. Cela touchait tous les domaines culturels. C'est un grand évènement, important pour nous car je sens en tant qu'ambassadeur qu'on ne connaît pas assez l'Estonie en France. Cela nous a aidé à avoir des articles dans les journaux à propos de notre pays. Je crois que cela a été un grand succès.
Cercle des Européens: Comment se portent les relations économiques entre France et Estonie ?
S.E.M. Jürgenson: Cela fonctionne très bien en ce moment. Nous travaillons ensemble avec l'ambassadeur de France en Estonie et trouvons qu'il y a un nouveau souffle dans ces relations. La France a vraiment augmenté ses investissements en Estonie. Les grandes entreprises françaises (Veolia, Alstom,...) y sont représentées fortement. Notre principal objectif est de susciter l'intérêt des PME également car c'est là où la mentalité et la psychologie d'un pays est enracinée. Les relations politiques sont aujourd'hui également très fortes.
Cercle des Européens: En France, on parle de consommer du Made in France, de démondialisation, de produire français... Cela vous inquiète-t-il en tant qu'Européen ?
S.E.M. Jürgenson: Non, nous n'avons aucunement peur car c'est tout à fait normal. Cela existe depuis toujours. La mondialisation n'est pas contre ce patriotisme et on peut avoir les deux ensemble. La même chose se produit en Estonie pour l'alimentation. C'est important de manger estonien comme ici de manger français. Il faut apprendre à vivre avec la mondialisation car cela donne de nouvelles possibilités mais aussi de nouveaux défis. Faire cohabiter les deux n'est pas évident.
Cercle des Européens: En quoi consiste le travail de l'ambassadeur d'Estonie à Paris ?
S.E.M. Jürgenson: Nous travaillons à développer les relations avec le gouvernement français, les entreprises nationales et les citoyens.Dans l'Union européenne, il faut avoir des alliés. Nos positions avec la France sont les plus proches possibles et cela facilite mon travail. Dans mon pays comme partout, on se demande s'il faut maintenir les ambassades bilatérales en Europe. Pour moi, ce sont les ambassades les plus importantes. On ne peut pas tout décider dans l'enceinte du Conseil européen. Il faut une préparation, travailler ensemble. Par exemple, la France et l'Estonie étaient toutes les deux candidates pour l'agence européenne pour les techonologies de l'internet. Dans cette compétititon, nous avons travaillé de manière très proche des Français. Ce travail a été très positif et très constructif. C'était un bon souvenir, même si j'étais inquiet à mon arrivée le 2 septembre 2010 sur ce dossier. J'avais peur que nos relations virent à l'empoisonnement. Maintenant, on a même la possibilité d'une future coopération dans ce domaine car nous partageons cette agence entre Strasbourg et Tallinn. Cet épisode montre les ambassades bilatérales dans l'Union européenne sont très importantes.
Cercle des Européens: Le service européen d'action extérieure, concurrent ou compagnon des diplomaties nationales en Europe ?
S.E.M. Jürgenson: On ne sait pas à quoi cela va aboutir. C'est très important pour nous : on souhaite avoir plus de cohésion dans la politique extérieure. Pour un petit pays comme l'Estonie, ce sera bien d'avoir une représentation pour les pays où nous n'avons pas les moyens d'être là. Quand j'étais ambassadeur à Washington, j'avais calculé le fait qu'avec le même investissement que les Américains, nous pourrions avoir plus de mille ambassades !
C'est important pour nous d'avoir la représentation de l'UE qui soit là pour notre intérêt politique, économique, consulaire,... mais l'Union européenne n'est pas encore un pays. Pour le moment, chacun a toujours ses propres intérêts. Mais cela a un grand potentiel malgré une mise en place un peu difficile. C'est aussi dû au problème de clarté dans le mandat de Mme Ashton.
Cercle des Européens: Quand les médias français traitent de l'Estonie, c'est souvent pour parler de la minorité russophone... Est-ce un mythe ?
S.E.M. Jürgenson: Naturellement, la minorité russophone n'est pas un mythe... mais le fait qu'on écrive tellement en France à ce propos, c'est un mythe ! Son intégration dans le pays est un défi, pas un grand problème. On s'est assez bien débrouillé quand on regarde d'où nous venons il y a vingt ans... c'est un miracle. Ce n'est pas un sujet déterminant en Estonie. Il y a moins de tensions que dans la plupart des pays où il y a une forte immigration en Europe. La seule situation difficile a eu lieu il y a quatre ans pendant deux jours.
Il y a des mythes dans tous les domaines. Par exemple, quand on parle de l'Estonie, de la Lituanie ou de la Lettonie, on parle de "pays baltes". Il est vrai que nous sommes des pays très proches, mais avec des problèmatiques très différentes. Par exemple, quand on a parlé de l'affaire entre France et Russie pour la vente du Mistral, on ajoutait que les pays baltes étaient "fortement contre"... J'ai du dire au gouvernement français que nous n'avions pas pris position. Autre chose aussi quand on parle de la crise: dans le FT, la FAZ ou Le Monde, on a parlé de danger de dévalutation dans les pays baltes alors que nous n'avons jamais eu ce problème en réalité. Sauf que les investisseurs eux lisent les journaux... C'est difficile à gérer mais les mythes sont un processu normal.
Cercle des Européens: Et à l'inverse, existe-t-il des mythes en Estonie sur la France ?
S.E.M. Jürgenson: La difficulté est que nos deux pays n'ont pas de réelles histoires en commun. Il y a peu de gens qui parlent français en Estonie par exemple. Il n'y a pas la même communication historique qu'avec les Allemands depuis 700 ans et les "Allemands baltes". La France pour les Estoniens, c'est notamment l'image d'un pays culturel. C'est un défi pour moi de convaincre les entreprises estoniennes de venir ici car la France a beaucoup d'atouts.
Je dis qu'il n 'y a pas de liaision historique, mais il y a quelques mois, j'ai découvert au travers du livre d'un historien de Paris III, Michel Rouche, sur Clovis que la femme de celui-ci Chlotilde était demi-estonienne... Alors il existe quelques liens quand même entre la France et l'Estonie !
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